samedi 11 septembre 2021

Un Havre, deux types de documents, trois moments

 Bien entendu quand on s'intéresse à un genre photographique et à la joie des images (ce qui ne va plus forcément de soi aujourd'hui), on est toujours heureux de mélanger les occasions de voir.
Alors la première occasion ici sur ce blog, c'est bien les cartes postales et il est toujours surprenant de se voir jubiler une fois encore d'un lieu ou d'un moment bien connu ainsi enregistré par ce mode d'édition et de diffusion de l'architecture.
La semaine dernière, dans une boîte à chaussures, je trouve cette petite séquence bien significative :





La première carte postale fut expédiée en 1946... Il s'agit donc d'une carte postale voulant montrer l'étendue du désastre au Havre, désastre des bombardements alliés.
La carte postale des éditions Lugen au Havre est assez typique de ce genre de cartes postales des ruines de la Guerre montrant dans le registre du haut l'état avant le bombardement puis l'état ensuite. N'oublions pas que cette carte fut donc bien expédiée en 1946, c'est dire le désir rapide d'éditer, d'informer, de montrer et aussi d'archiver ce désastre. On notera que l'éditeur ne dit rien d'autre, ne donne aucune opinion sur ce constat et laisse l'image parler d'elle-même. On notera que la carte est d'un format peu usité, peut-être à cause d'un manque encore de papier photographique mais rien n'est moins certain, c'est peut-être aussi simplement le désir de tenter de donner à voir un peu mieux. On notera aussi que le cliché du Havre bombardé est de bien moins bonne qualité que celui du Boulevard François 1er avant les bombardements. Il existe d'autres vues de ce type et pas seulement pour Le Havre, on en a vu de Royan et on pourra en voir de St Dié. Il y a donc un marché de ce type d'images à cette période mais n'y voyons aucun cynisme de l'éditeur mais bien plus sans aucun doute le souhait de partager la catastrophe, de la montrer.
Le correspondant au verso ne dit rien de son choix, ne dit rien du constat. Envoyer c'est déjà dire quelque chose et, finalement, quoi ajouter à ce constat implacable ?
J'aimerais savoir combien d'années ce type de représentations fut disponible à la vente, pendant combien de temps les habitants ont cru bon de se reconnaître dans ce choix d'un Havre dévasté ?

La seconde carte postale du Havre nous montre le même Boulevard François 1er après sa somptueuse Reconstruction par Perret. La carte est une édition Tisse et Larcier et, même si elle date sans aucun doute des années cinquante (peut-être fin cinquante), elle ne fut expédiée qu'en 1967...
Pourquoi donc envoyer une image aussi ancienne et encore en noir et blanc ?
On note que le photographe a choisi d'animer son carrefour avec des autos, sans doute pour contrecarrer un peu la... euh... régularité minérale de la ville du Havre que j'adore. Les arbres ou arbrisseaux ne donnent pas encore à cette superbe perspective sur Saint-Joseph un caractère plus joyeux. La Dauphine et son conducteur à casquette me rappellent mon grand-père.
Bien entendu, la présence des deux cartes postales dans la même boîte à chaussures dit quelque chose aussi de la proximité et de la familiarité des lieux à l'expéditeur mais, là encore, aucune critique du correspondant sur l'image ou sur l'architecture. C'est comme ça, regarde.

Mon amie Catherine Schwartz m'offre une petite suite d'images superbes du Havre. Ici, ces photographies ne sont pas une production éditée mais des images d'un particulier visitant Le Havre. Au dos de celle avec le rebord de la fenêtre, le ou la photographe note : " Retour de vacances. Départ pour le travail, Le Havre 4.10. 61, 8H50"
On s'amuse de la grande précision de la localisation et du moment ! Que veut dire le retour de vacances ? Un regret sur ce qui est vu dans ce moment ? Et pourquoi ce désir de précision si grand ? On pourrait aussi bien entendu tirer plein de conclusions sur les différences entre photographie amateur et photographie d'éditeur, on pourrait facilement croire à la plus grande liberté de l'une sur l'autre, sur, en quelque sorte son authenticité. Dieu m'en garde.
Bien entendu, la douceur du noir et blanc presque laiteux, le ciel oublié par la lumière, le manque de netteté, l'étrangeté des points de vue m'offre une grand moment poétique et touchant sur cette ville encore toute neuve en 1961. Et qu'attendent ces gens qui regardent un défilé de pas moins de 5 Floride Renault ?
Quel défilé, quel événement est ainsi attendu ? 
Reste la question du lieu d'où sont prises ces photographies. Nous sommes toujours en hauteur et même très en hauteur !
Cela semble impossible depuis les constructions de Perret d'être plus haut qu'elles. Une grue ? Un grutier au travail aurait-il pris ces clichés ce qui expliquerait la précision retour de vacances et l'heure matinale ?
Possible...
Je vous laisse tous suspendus à tous ces possibles et à votre imaginaire.
Pour ma part, je remercie Catherine pour ces belles images de cette si belle ville et je vous invite tous à vous rendre au moins une fois au Havre. 










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