C'est bien ce que Jean-Marc et Florence sont venus chercher au Château de la Source. Mais ils ne pourront en toute honnêteté écrire cette carte postale à leurs familles respectives. Difficile en effet d'expliquer ce qu'ils sont venus faire ici.
Car si Jean-Marc a bien raconté à sa femme qu'il partait en séminaire à la Ferté-sous-Jouarre (il est représentant chez Alcatel) et ne rentrerait que samedi prochain, Florence, infirmière, elle, avait raconté qu'elle était de garde à l'Hôpital Villiers Saint Denis et qu'elle ne pourrait au mieux revenir dans son foyer que le vendredi soir. Nous étions mercredi...
Le calme ici au Château de la Source voulait bien dire la discrétion car, le soir venu, le calme était tout de même légèrement perturbé par certains bruits.
Sur la carte, le couple des propriétaires affichait clairement la classe sociale du lieu : une bourgeoisie chabrolienne à nœud papillon, chaussettes Burlington, chaînette en or sur robe Saint Laurent de confection. Les mains posées à l'endroit du délit. Les autos n'arrivaient que le soir, la nuit tombée, en faisant crisser légèrement sous leurs pneus le gravier de l'allée. Et la source qui jaillissait était assez spéciale et multipliée. On l'espère en tout cas.
Toute la décoration était un peu trop généreuse, voulant affirmer la bienséance et un certain goût classique. Il faut savoir entretenir la flamme avec des fleurs, des abat-jour chaleureux, du bois trop vernis. Le matin, tout le monde prendra son petit déjeuner tard et dans la chambre.
Le calme. Le calme on vous le promet.
Daniel, lui n'a pas le temps d'envoyer des cartes postales. Il faut dire qu'il travaille dans le Hilton, il n'y dort pas. Le matin, il fait le tour des chambres, nettoie, change les draps, remet des savonnettes minuscules dans les douches, vide les corbeilles, passe l'aspirateur et surtout, il n'entre dans les chambres qu'après avoir, comme on lui a bien appris, frappé au moins trois coups sur la porte. Il se demande toujours ce qu'il va trouver car il trouve des choses, des oublis, des signes, des indices. Là un mégot d'une marque de cigarettes qu'il ne connaît pas, ici un appareil photo oublié sous une chaise, une brosse à dent usagée sur le rebord de l'évier, un dépliant pour la visite de la tour Montparnasse. Ici, au Hilton de Orly, on reste peu de nuits. Souvent une seule, pour attendre l'avion, pour attendre la famille qui viendra vous chercher. Il aime toutes ces histoires possibles. Daniel, il aime imaginer les vies. Mais avec sa collègue Monique, il n'aime pas enlever les draps. Il le fait toujours vite, les roule vite en bouchon pour ne rien voir. Il aime mieux passer sa main sur le drap propre pour bien le tendre et tapoter l'oreiller pour le gonfler un peu. Daniel, il voudrait travailler dans un autre hôtel, peut-être même le sien, quelque part dans sa Bretagne natale. Il ne rêve pas de Tokyo, de Rio ou de Genève en voyant les avions décoller tous les jours. Non, Daniel rêve de Fabrice, son copain de régiment qu'il a revu la semaine dernière par hasard à la réception. Fabrice partait pour Berlin pour un colloque consacré à un philosophe allemand au nom imprononçable pour Daniel. Mais Fabrice avait toujours les mêmes yeux, les mêmes avant-bras musculeux et ce cou long sur lequel se posait fièrement sa tête joyeuse. Ils se rappelaient bien tous les deux de... tous les deux, il n'y a pas si longtemps que ça. Combien ? Cinq ans à peine précisa Daniel.
Daniel trouva dans la chambre vidée de Fabrice au matin, sur la table de chevet, un petit mot pour lui.
"Je reviens par le même vol, mardi. J'ai réservé la chambre. Tu me trouveras facilement, je crois. Fabrice."
Daniel avait pris un jour de congé. Mais il serait là, sur son lieu de travail. Fracas sourd sur le devant de l'hôtel. Un avion décolle pour Madrid. Daniel, il s'en moque. Il est heureux ici.
par ordre d'apparition :
carte postale édition Objectif Pub sans date ni oblitération.
carte postale édition P.I, cliché du photographe Alain Maisonneuve, expédiée en 1971. La carte ne nomme pas l'architecte.
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