Je viens de terminer La manufacture du meurtre d'Alexandra Midal, livre ayant pour sujet le tueur en série H.H. Holmes et pour objet sa maison construite pour tuer confortablement et sans risque ses victimes.
Alexandra Midal tente un rapprochement un rien osé en affirmant que finalement, le tueur en série et l'architecture de sa maison ne seraient en fait qu'un symptôme, une suite logique du fonctionnalisme, concluant même que ce tueur en série pourrait être après tout comme un prophète du design moderne appliquant à la lettre les désirs modernes appuyés essentiellement sur les principes de la mécanisation, sur l'application parfaite du fonctionnalisme. La maison est une machine, une machine à tuer.
Bon.
Oui...
Le souci c'est que, même si l'analyse est intelligente, si l'angle est d'ailleurs un rien ironique, on pourrait un peu vite en conclure que le phénomène du tueur en série serait lié de fait avec l'idée du fonctionnalisme faisant de l'environnement géographique et intellectuel du tueur, de sa proximité avec les abattoirs de Chicago et leur rationalisme, les coupables idéaux.
Alors, on aime suivre l'auteure dans ses raisonnements, on aime sa culture brillante et qui vient parfaitement étayer l'angle, on aime un peu moins, comment dire... la conclusion.
J'avoue que si je peux m'amuser du rapprochement et de son audace, il serait bien tout de même d'analyser aussi plus profondément comment un tel individu, dans son histoire personnelle, son éducation, son héritage relationnel et sociologique, a pu aussi être fabriqué.
Ne pas trop être saisi pas son idée originale pour mieux relativiser son sens.
Que les génies du mal soient également des génies opérationnels du crime sachant inventer situations, outils, opportunités pour tuer, je crois que, malheureusement, cela n'est pas seulement lié à un environnement intellectuel et industriel basé sur une théorie contemporaine de ce mal.
De ce point de vue, la stratégie militaire a su déjà réaliser des meurtres de masse en ayant en plus la magnifique excuse de l'ambition militaire. Napoléon aurait sans doute pu être un ami de Holmes, un conseiller, tuant par milliers au nom du progressisme politique et de l'ambition personnelle. Saisir les outils de son époque n'est pas les inventer ni même les interroger c'est, tout bonnement, les utiliser.
Les salauds de l'Histoire sont souvent, surtout, des opportunistes.
C'est dans cette capacité d'usage que se pose la vraie question de l'intelligence meurtrière de Holmes.
On regrette vivement aussi que l'analyse architecturale du lieu, appelé le Château, ne soit pas plus poussée et plus éclaircie. Difficile de suivre les espaces, d'en saisir les articulations, de comprendre comment les espaces les plus cachés étaient articulés aux espaces les plus publics. Mon imagination a eu bien du mal à se projeter dans l'intelligence de cette spatialisation, ne pouvant pas suivre correctement comment les circulations se faisaient. Un plan m'eût-il aidé ? Était-ce possible de le réaliser ?
Manquent aussi des liens avec la modernité de la ville de Chicago, l'image des façades, le jeu des structures et le sens de l'espace familial et privé dans l'Amérique urbaine de cette période. Comment on habite dans cette Amérique, comment on reçoit, comment un étage est noble, comment on y accède, comme on le quitte, bref ce que l'urbanité et la politesse des maisons (merci Bénédicte Chaljub) pouvaient avoir de particulier à l'époque et que Holmes aurait pu tout aussi bien saisir et donc construire.
Il y a donc une forme d'accusation du fonctionnalisme (bien entendu capitaliste) qui, s'il est aujourd'hui assez souvent décrié et mal aimé car mal compris, n'en demeure pas moins un moment important de l'histoire de l'architecture et du Design. L'art populaire des outils (du couteau parfaitement équilibré du boucher au marteau des forgerons, ce fonctionnalisme vernaculaire) a bien tué aussi. Et l'idée maintenant trop souvent répétée que les fours crématoires et l'organisation du crime nazi seraient la fin logique du fonctionnalisme a déjà été écrite, rebattue, usée. Alors si les uns se sont intéressés à la fin du fonctionnalisme en l'accusant des pires crimes de l'histoire, il fallait quelqu'un pour nous en évoquer son horrible genèse. Voilà c'est fait. Aveugles que nous étions ! Le crime en série sera donc maintenant associé à l'origine de ce mouvement. La boucle est bouclée.
Designers, faites attention à l'efficacité des mesures d'un meuble, à l'ergonomie d'un électro-ménager, vous pourriez rapidement être accusés de complicité de meurtre.
Allez ! Je rigole.
À force de tirer la corde de la similarité d'un champ avec un autre, on finit par croire en leur égalité.
Je vous conseille donc vivement de lire ce livre, objet éditorial curieux et bien construit.
Pour ma part, je retournerai bien volontiers visiter la maison ou les installations de Gregor Schneider ou mieux encore, la Maison des Feuilles de Danielewski. J'y retrouverai plus sûrement, dans ces maisons, mes doutes métaphysiques et mes craintes enfantines.
La manufacture du meurtre
Alexandra Midal
éditions Zones
12 euros, achetez vos livres chez un libraire indépendant.
Parce qu'il est question de Chicago, je vous donne deux cartes postales de cette ville. Bien entendu, vu la période concernée et l'objet du livre d'Alexandra Midal, je n'ai pas trouvé de carte postale représentant la maison de Holmes mais ce n'est pas impossible qu'au détour d'une vue de rue ou de quartier on puisse, un jour, la trouver.
Je vous propose donc d'abord cette carte postale représentant le parcage des animaux avant leur passage dans les abattoirs, abattoirs dont nous parle beaucoup Alexandra Midal dans son ouvrage. La représentation en carte postale d'un tel objet prouve bien l'importance de ce lieu pour Chicago et l'éditeur Cameo, nous indique bien que des centaines de visiteurs viennent là voir l'industrie gigantesque de la viande. Cette industrie est donc bien considérée comme un sujet touristique, digne de représenter la ville de Chicago. Il était donc possible, comme après la visite d'un monument ou d'une usine quelconque d'acheter une carte postale des abattoirs et de diffuser cette industrie de la mort par l'image d'une carte postale.
Je vous mets aussi cette autre carte postale de Chicago, plus joyeuse, plus fraîche mais aussi plus récente (circa 1955) nous montrant le Sheraton peint dans une somptueuse gouache qui me fait penser à un générique de film qui aurait bien pu être dessiné par Saul Bass. Comment ne pas aimer ça, comment ne pas aimer qu'un tel Hôtel aussi luxueux préfère pour faire sa promotion passer par une représentation aussi colorée, aussi fantaisiste, aussi pétillante ! Malheureusement pour nous, l'éditeur de Boston ne nous indique pas le nom du peintre ou dessinateur qui a créé cette superbe représentation de la ville de Chicago !
Alexandra Midal tente un rapprochement un rien osé en affirmant que finalement, le tueur en série et l'architecture de sa maison ne seraient en fait qu'un symptôme, une suite logique du fonctionnalisme, concluant même que ce tueur en série pourrait être après tout comme un prophète du design moderne appliquant à la lettre les désirs modernes appuyés essentiellement sur les principes de la mécanisation, sur l'application parfaite du fonctionnalisme. La maison est une machine, une machine à tuer.
Bon.
Oui...
Le souci c'est que, même si l'analyse est intelligente, si l'angle est d'ailleurs un rien ironique, on pourrait un peu vite en conclure que le phénomène du tueur en série serait lié de fait avec l'idée du fonctionnalisme faisant de l'environnement géographique et intellectuel du tueur, de sa proximité avec les abattoirs de Chicago et leur rationalisme, les coupables idéaux.
Alors, on aime suivre l'auteure dans ses raisonnements, on aime sa culture brillante et qui vient parfaitement étayer l'angle, on aime un peu moins, comment dire... la conclusion.
J'avoue que si je peux m'amuser du rapprochement et de son audace, il serait bien tout de même d'analyser aussi plus profondément comment un tel individu, dans son histoire personnelle, son éducation, son héritage relationnel et sociologique, a pu aussi être fabriqué.
Ne pas trop être saisi pas son idée originale pour mieux relativiser son sens.
Que les génies du mal soient également des génies opérationnels du crime sachant inventer situations, outils, opportunités pour tuer, je crois que, malheureusement, cela n'est pas seulement lié à un environnement intellectuel et industriel basé sur une théorie contemporaine de ce mal.
De ce point de vue, la stratégie militaire a su déjà réaliser des meurtres de masse en ayant en plus la magnifique excuse de l'ambition militaire. Napoléon aurait sans doute pu être un ami de Holmes, un conseiller, tuant par milliers au nom du progressisme politique et de l'ambition personnelle. Saisir les outils de son époque n'est pas les inventer ni même les interroger c'est, tout bonnement, les utiliser.
Les salauds de l'Histoire sont souvent, surtout, des opportunistes.
C'est dans cette capacité d'usage que se pose la vraie question de l'intelligence meurtrière de Holmes.
On regrette vivement aussi que l'analyse architecturale du lieu, appelé le Château, ne soit pas plus poussée et plus éclaircie. Difficile de suivre les espaces, d'en saisir les articulations, de comprendre comment les espaces les plus cachés étaient articulés aux espaces les plus publics. Mon imagination a eu bien du mal à se projeter dans l'intelligence de cette spatialisation, ne pouvant pas suivre correctement comment les circulations se faisaient. Un plan m'eût-il aidé ? Était-ce possible de le réaliser ?
Manquent aussi des liens avec la modernité de la ville de Chicago, l'image des façades, le jeu des structures et le sens de l'espace familial et privé dans l'Amérique urbaine de cette période. Comment on habite dans cette Amérique, comment on reçoit, comment un étage est noble, comment on y accède, comme on le quitte, bref ce que l'urbanité et la politesse des maisons (merci Bénédicte Chaljub) pouvaient avoir de particulier à l'époque et que Holmes aurait pu tout aussi bien saisir et donc construire.
Il y a donc une forme d'accusation du fonctionnalisme (bien entendu capitaliste) qui, s'il est aujourd'hui assez souvent décrié et mal aimé car mal compris, n'en demeure pas moins un moment important de l'histoire de l'architecture et du Design. L'art populaire des outils (du couteau parfaitement équilibré du boucher au marteau des forgerons, ce fonctionnalisme vernaculaire) a bien tué aussi. Et l'idée maintenant trop souvent répétée que les fours crématoires et l'organisation du crime nazi seraient la fin logique du fonctionnalisme a déjà été écrite, rebattue, usée. Alors si les uns se sont intéressés à la fin du fonctionnalisme en l'accusant des pires crimes de l'histoire, il fallait quelqu'un pour nous en évoquer son horrible genèse. Voilà c'est fait. Aveugles que nous étions ! Le crime en série sera donc maintenant associé à l'origine de ce mouvement. La boucle est bouclée.
Designers, faites attention à l'efficacité des mesures d'un meuble, à l'ergonomie d'un électro-ménager, vous pourriez rapidement être accusés de complicité de meurtre.
Allez ! Je rigole.
À force de tirer la corde de la similarité d'un champ avec un autre, on finit par croire en leur égalité.
Je vous conseille donc vivement de lire ce livre, objet éditorial curieux et bien construit.
Pour ma part, je retournerai bien volontiers visiter la maison ou les installations de Gregor Schneider ou mieux encore, la Maison des Feuilles de Danielewski. J'y retrouverai plus sûrement, dans ces maisons, mes doutes métaphysiques et mes craintes enfantines.
La manufacture du meurtre
Alexandra Midal
éditions Zones
12 euros, achetez vos livres chez un libraire indépendant.
Je vous propose donc d'abord cette carte postale représentant le parcage des animaux avant leur passage dans les abattoirs, abattoirs dont nous parle beaucoup Alexandra Midal dans son ouvrage. La représentation en carte postale d'un tel objet prouve bien l'importance de ce lieu pour Chicago et l'éditeur Cameo, nous indique bien que des centaines de visiteurs viennent là voir l'industrie gigantesque de la viande. Cette industrie est donc bien considérée comme un sujet touristique, digne de représenter la ville de Chicago. Il était donc possible, comme après la visite d'un monument ou d'une usine quelconque d'acheter une carte postale des abattoirs et de diffuser cette industrie de la mort par l'image d'une carte postale.
Je vous mets aussi cette autre carte postale de Chicago, plus joyeuse, plus fraîche mais aussi plus récente (circa 1955) nous montrant le Sheraton peint dans une somptueuse gouache qui me fait penser à un générique de film qui aurait bien pu être dessiné par Saul Bass. Comment ne pas aimer ça, comment ne pas aimer qu'un tel Hôtel aussi luxueux préfère pour faire sa promotion passer par une représentation aussi colorée, aussi fantaisiste, aussi pétillante ! Malheureusement pour nous, l'éditeur de Boston ne nous indique pas le nom du peintre ou dessinateur qui a créé cette superbe représentation de la ville de Chicago !
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