Une autoroute vide ou presque.
Un vide dure, celui d'une drôle d'époque. Terrible.
Je suis troublé car je sais ce que contient cette carte postale de dérangeant, je veux dire surtout la période de sa production et donc de ceux qui sont responsables de cette construction : le régime nazi. Pourtant ma fascination (étymologie commune avec fascisme...) pour cette image est réelle. L'horizon plat contrarié par une légère diagonale des lignes électriques, puis les courbes faites de tons de gris se mêlant les unes aux autres dans un entrelacement vert de gris, tout donne à cette carte postale des éditions Max Hepp une valeur esthétique superbe. Le mot "Reich" venant dans le titre ajouter du sulfureux à l'image même s'il ne faut pas trop rapidement en faire une preuve. On sait comment le régime nazi a fait propagande des autoroutes, comment il a laissé penser qu'il en était l'inventeur, voyant dans cet objet celui parfait réunissant vitesse, grands travaux, force traversante, génie civil. Pourtant il n'en est pas réellement l'inventeur. Mais reste dans notre esprit, et donc dans le mien, et c'est aussi une force du fascisme, l'image de la propagande qui perdure. Me dois-je de ne pas aimer cette image ? Est-ce qu'une fascination est toujours une acceptation ? Non, bien sûr. C'est bien pour cela que c'est dangereux. On pourrait aussi trop vite croire que seul un régime nazi dans les Années Trente peut penser qu'une autoroute mérite d'être ainsi partagée en cartes postales pour diffuser les qualités de transformations du paysage et la politique de grands travaux. Or, cela se fit ailleurs. La route, l'autoroute, le carrefour ou le génie civil ont toujours été des sujets pour les éditeurs. Il n'y a rien ici d'incroyable. Ce qui l'est c'est bien ce que j'y ajoute. Un trouble permis par l'histoire dont je sais la fin et dont cette carte postale nous raconte, elle, l'actualité.
Or, voici un autre trouble :
Typique des cartes postales en véritable photographie de l'époque, encore marquée par le style de l'avant-guerre, cette carte postale est une photographie de Erich Bauer. La qualité éditoriale est au rendez-vous et la solidité du carton photographique ajoute au plaisir de cette image.
Mais que voit-on ?
Vous aurez compris que ce qui me poussa à l'achat de cette carte postale c'est bien la forme de ce toit en paraboloïde hyperbolique, expression d'une modernité structurale qui eut tant de succès dans cette période des Années Cinquante. Ici, la carte est datée de 1953 et nous montre la Schwartzwaldhalle de Karlsruhe que l'on doit à Erich Schelling et Ulrich Finsterwalder. Ce bâtiment serait, si on en croit Wikipédia, le premier de ce type en Europe. Pourtant, de ces deux noms d'architectes et ingénieurs allemands, je ne trouve aucune trace dans Archirès ! Comment est-ce possible ? Doit-on cet oubli, disons pour rester poli, à une certaine mauvaise histoire personnelle de ces deux architectes et surtout de Erich Schelling qui aurait bien travaillé avec le parti nazi ?... Difficile de le dire. Avons-nous affaire ici à une forme de censure de revues telles que Techniques et Architecture et l'Architecture d'Aujourd'hui pas très chaudes pour promouvoir les exploits techniques et architecturaux d'anciens amis d'un pouvoir terrible ? Je ne sais pas... Il faut aussi modérer les informations trouvées sur l'internet. Mais comme pour la carte postale de l'autoroute, je suis troublé. Troublé par le fait que, objectivement, cette construction est belle. Belle par sa structure et l'exploit de celle-ci mais aussi par sa transparence, sa liaison avec le sol, le dessin de ses lignes. Rien qui traîne ici d'une architecture nazie, fascisante et pompeuse d'un Albert Speer. Non. On notera que la carte postale de cette Schwartzwalhalle ne nomme pas l'architecte. Mais je l'avoue, parfois, il m'arrive même de trouver dans les errements grandiloquents, dans le gigantisme, dans une forme de puissance, une certaine beauté dont mon jugement esthétique provient bien plus de cette fameuse fascination que d'une analyse objective de ce qui fait architecture. Il faut refroidir alors ses ardeurs. Difficile donc depuis mon ordinateur de comprendre et de saisir quel fut vraiment le niveau de collaboration de Erich Schelling avec le régime de Hitler et ses sbires. Difficile d'émettre a posteriori un jugement, cela serait bien trop rapide et peu juste. Mais difficile aussi de ne pas se sentir gêné aux entournures et d'aimer maintenant que je sais, d'aimer simplement cette construction. Il en émane au-delà des clichés, dans la grandeur de ses bannières de l'entrée quelque chose de repoussant.
En voici une autre :
Ce point de vue nous montre davantage la courbe du toit. Rolf Kellner le photographe nous offre ici une vue d'un peu plus haut permettant de voir la ville de Karlsruhe au loin. La carte postale dans sa fabrication semble bien plus récente alors qu'elle est de la même période. Elle quitte les codes de la carte postale d'avant-guerre. Les bannières sont tombées et la végétation ne permet pas de bien lire la construction qui se résume alors à son toit, lieu de l'exploit technique.
Nous en resterons là avec Monsieur Erich Schelling.
Nous ne garderons que cela, un exploit technique beau qui ne raconte pas bien son origine.
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