Allant de la carte postale montrée, citée, éditée, rejouée et imitée, il semble que la traversée de la Modernité finalement oblige à regarder ce type de document. Tant mieux pour nous ! On remarquera aussi que ces éditions sont distribuées gratuitement et que le public aime à repartir avec ces documents, se servant largement ! Les images de l'architecture voyagent ainsi.
On va commencer par un exemple très fort et, sans aucun doute, par l'un des plus intéressants pavillons de cette Biennale : le Pavillon Chilien.
Ce que réussit parfaitement ce Pavillon que ne réussissent pas les autres et notamment le Pavillon Français qui, pourtant, comme on le verra par son héritage du Hard French lui aurait permis de penser, c'est de réveiller une histoire sensible et politique en évoquant l'une des questions les plus prégnantes de l'architecture moderne : la préfabrication lourde du logement social. L'histoire de ce Pavillon tient toute entière dans un élément préfabriqué provenant d'un système offert par l'U.R.S.S mais dérivé du système français Camus. Offert aux chiliens par les russes, le système et son modèle sont déjà en soi l'histoire de la diffusion de ce modèle architectural : France, Union Soviétique, Chili et Cuba ! Rien que cette information est passionnante et le Pavillon Chilien nous offre l'occasion par un travail remarquable de voir par des maquettes et des vidéos la quasi totalité de ces systèmes de préfabrication ! Incroyable ! Mais s'ajoute à cela une histoire plus locale, celle d'un panneau préfabriqué sur lequel Savaldore Allende en 1972 est venu inscrire quelques mots dans le béton frais au moment de sa visite de l'usine pour remercier les soviétiques. Ce panneau posé comme monument devant l'usine connaîtra une histoire de ré-appropriation par la dictature qui en fera un cadre de béton pour une Sainte Vierge, puis, au moment de la fermeture de l'usine, il fut sauvé in-extremis par des passionnés de cette histoire, des citoyens sensibles n'ayant rien oublié de la charge politique de ce panneau. Ce dernier a donc une charge politique et historique absolument incroyable et, dressé à Venise, dans une pénombre lourde, il porte parfaitement le nom de Monolith, à la différence des panneaux Prouvé érigés comme des fétiches inutiles à leur héritage dans le pavillon français, il n'usurpe pas son nom et résonne étrangement d'une vibration émouvante. Il porte l'histoire de l'architecture moderne, oscillant, comme le dit très bien dans le catalogue Boris Groys entre suprématisme et ready-made. L'exposition tient donc ainsi du miracle populaire offrant au visiteur la possibilité de lire la totalité des systèmes constructifs, de les comprendre, de les apprendre aussi par des projections vidéo offrant comme un jeu de construction enfantin l'ensemble de leur panneaux et des éléments. On nous offre aussi la possibilité face à cette sécheresse puissante de l'industrialisation, la reconstitution d'un appartement tel qu'il est habité avec son mobilier, ses bibelots et le tout venant d'une vie simple. Quelle belle idée ce contraste entre les deux visions. Si vous ajoutez à tout cela, un catalogue d'une grande beauté formelle et éditoriale, riche en témoignages et histoires touchantes, vous comprendrez que le Chili a fait ici une œuvre d'une très grande puissance mémorielle que très peu de pavillons ont réussi à réaliser. Raconter une histoire, c'est bien raconter l'Histoire et les énergies politiques à l'œuvre ici disent simplement sans discours obscur la force que le Chili possède à se souvenir. Simplement émouvant.
On trouve donc dans le pavillon chilien une carte postale, la voici :
Elle nous montre l'une des femmes travaillant à la production des usines KPD Plant photographiée en 1974 par Salinas Gonzalez. Le catalogue nous rapporte la fierté des femmes travaillant avec les hommes dans ses usines de béton, le catalogue nous donne le témoignage du photographe réalisant ces clichés de propagande. Et, dans cette pose sereine, souriante à la vie, je vois la fierté d'une histoire et du retournement politique. C'est aussi ce visage qui fait vibrer le panneau de béton, c'est la force d'une utopie sociale redécouverte. Dommage que notre pays couvert de Hard French, rempli d'histoires sans doute aussi fortes, créateur même de certains très beaux types de préfabrication n'ait pas su trouver de moyen aussi simple pour exprimer cet héritage.
Mettre Tati, Prouvé et Lods ensemble ne fait résonner rien d'autre qu'une nostalgie sans fond, sans contextualisation, sans histoire. Quelque chose de la petite France éternelle que l'on sert aux touristes, celle des nappes à carreaux, de la baguette, quelque chose qui reste au bord, complaisant à la reconnaissance internationale de génies, certes, mais dont rien ne permet de comprendre comment ils naissent et surtout comment, dans notre pays, ils meurent sans héritage. La prochaine fois que je vois un panneau de Jean Prouvé dressé dans le vide de sa beauté interne je lui fiche un coup de pied pour le faire tomber. On finira par ne plus nous faire rire avec Tati, Madame Arpel est usée jusqu'à la corde et Beaudouin et Lods méritent mieux que l'histoire sans cesse répétée et affligeante de contrition nationale d'une architecture malheureusement desservie par l'Histoire. Assez, c'est assez.
Vive le Chili !
Monolith Controversies
Edité par Pedro Alonso et Hugo Palmarola
Hatje Cantz
isbn-978-3-7757-3827-9
en anglais !
Quelques images extraites du très beau catalogue :
quelques images du Pavillon Chilien :
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