mercredi 11 décembre 2019

Fragile esprit

Il m'en aura fallu de la patience (et des déceptions) pour pouvoir, enfin, vous montrer cette carte postale du Pavillon de l'Esprit Nouveau :



Sur le Pavillon lui-même, il ne me sera pas utile de m'étendre, les stars ont cela de pratique que la littérature sur elles est abondante. Alors que raconter depuis cette carte postale que vous ne pourriez savoir en deux clics sur un moteur de recherche ?

http://www.fondationlecorbusier.fr/corbuweb/morpheus.aspx?sysId=13&IrisObjectId=5061&sysLanguage=fr-fr&itemPos=44&itemCount=78&sysParentName=home&sysParentId=64 

D'abord son existence. La création d'une carte postale pour un Pavillon de l'Exposition des Arts Décoratifs n'a rien d'étonnant puisque, quasiment tous, (tous ?) furent édités et publiés. Non, ce qui est justement étonnant c'est sa rareté.
Pourquoi donc ce Pavillon pourtant révolutionnaire, pourtant historique et reconnu comme tel à son époque n'a pas connu une plus grande fortune éditoriale pendant le Salon lui-même ? Le Pavillon de l'U.R.S.S, lui, a bien eu droit à plusieurs cartes postales...
Je me souviens de ma déconvenue, il y a au moins quinze ans, d'être tombé dans un vide-grenier sur un album plein des cartes postales de cette exposition de 1925 et de n'y avoir pas trouvé celui de l'Esprit Nouveau !
Ma rage fut telle que je laissai l'album entier dans un geste de dédain que je regrette aujourd'hui...
Est-ce que Le Corbusier déjà surveillait la diffusion des images et ne voulait pas que n'importe quoi puisse défigurer son œuvre ? Pourtant, il y a bien dans ce bâtiment un désir de communication et dans la carte postale un grand atout publicitaire. Alors ?

On note que le cadrage de la carte postale ne donne pas à voir le Pavillon de l'Esprit Nouveau en entier, qu'il nous manque une partie sur la gauche de l'image. Il faut dire que, peut-être, la forme même du Pavillon pourrait induire cette sélection : angles droits, jeux des ouvertures, radicalité du bloc cubiste et spectacle étonnant de cet arbre qui traverse le toit peuvent suffire à en dire la modernité et même son extravagance un rien outrée et donc le choix du cadrage resserré.
Alors inutile de prendre du recul ? Le spectacle se tiendrait là ?




On note que le (la ?) photographe choisit un moment légèrement en contre-jour qui baigne le Pavillon dans une mollesse des volumes qui ne produit que peu d'ombres révélatrices de ses formes. Tout cela est un rien éteint, presque sombre et la frondaison des arbres ne laisse que peu de place à une lecture des enjeux architectoniques. À ce titre, le fond de l'atrium est bien difficile à lire. Une fois encore, il semble que le puits de lumière découpé et laissant passer l'arbre soit l'élément premier visé par ce type de lumière. Là le contraste est utile.
La valeur symbolique de l'arbre maintenu dans l'architecture-même, sa charge respectueuse, l'intention à cette nature (bien urbaine) est la clef de voûte (si j'ose dire) de cette image et sans doute de cette architecture éphémère qui, par sa minceur aussi, raconte qu'il n'est vraiment pas nécessaire de couper un arbre pour affirmer cette modernité. C'est une architecture contextuelle comme on dirait aujourd'hui. Oups...
Mais qu'est devenu cet arbre ? Est-il toujours en place ? Qui ira voir ?
Moi, moi, moi...
Mon œil glisse aussi sur les traces de peinture sur l'angle en haut à gauche et sur la pauvreté du végétal au pied du Pavillon. Les quelques plantes mal fagotées font pâle figure face à l'autorité de l'arbre défonçant le cube. Même la sculpture cubiste de Lipchitz est peu en proportion devant ce bâtiment. Un peu posée là par hasard, on doute qu'elle fut remarquée à sa juste valeur, un peu comme un grigri touristique oublié sur l'étagère de la bibliothèque. On dirait une excuse moderniste.
























Suis-je le seul à voir dans ce Pavillon une grande fragilité ? Un peu comme une cabane voulant se faire passer pour une maison ?
À ce titre, la comparaison avec le Pavillon de Melnikov est intéressante. Le soviétique affirme cette fragilité, la revendique même dans la fabrication et dans l'image. Son Pavillon nous dit qu'il est arrivé là, en pièce détachées, prêt à repartir ou... à s'envoler.
Ici, Le Corbusier et Jeanneret semblent jouer davantage à un fac-similé, une maquette géante, un rêve à venir. Et même si, comme j'ai entendu le dire François Chaslin récemment, Corbu à cette époque construit maigre, il est tout de même étonnant de le laisser voir ainsi ici.
La Modernité est donc fragile ?

On note des éléments éditoriaux étonnants et mystérieux comme le chiffre 192 qui pourrait indiquer le nombre de cartes postales de cette collection dont le nom de l'éditeur est peu déchiffrable depuis son logotype : A. Noyer ? Hoyer ?
Et les initiales encore Art Nouveau de A.N sous ce chiffre sont-elles celles du photographe ?
Par contre, il est heureux de voir que l'éditeur a bien mentionné Le Corbusier et Jeanneret comme architectes. Ouf...



Complètement à gauche, une pancarte reste peu lisible...
Ma carte n'est pas écrite, pas datée. Elle reste vierge. C'est avec un grand bonheur que j'y appliquerai mon tampon de collectionneur pour que, à jamais, elle porte le stigmate d'un collectionneur acharné et jaloux. Je suis comme Harpagon avec sa cassette.
Je l'ai bien mérité.
Enfin, existe-il d'autres cartes postales de ce Pavillon ? Faut-il déjà, à peine repu de cette trouvaille que je m'invente une nouvelle quête. Vous pensez bien que oui sinon ce ne serait pas drôle...
L'excellent ouvrage de Luis Burriel Bielza* nous montre au moins une autre carte postale de ce Pavillon de l'Esprit Nouveau, carte plus ouverte dans son cadrage et permettant mieux de lire la totalité de la construction.
Malheureusement, je n'ai pas la joie d'avoir cette carte postale. Mais j'ai la joie de reprendre ma quête...
Car c'est la quête qui est belle.



*Le Corbusier, la passion des cartes
Luis Burriel Bielza
Mardaga éditions.

17 décembre. Dernière Minute ! Dernière Minute ! 
Bonjour David,
Trouvé hier, cet article dans un numéro de Domus de 1977. Tu verras que oui, on peut reconstruire Le Corbusier. On le fait à Piacé ?
Walid 

 
















































































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