samedi 9 janvier 2016

La place du photographe dans la banlieue et dans son histoire

Dans une banlieue bien marquée, reconnue presque comme telle immédiatement car chargée des signes qui la définissent, un photographe de cartes postales s'installe et décide de ce qui sera l'image de cet espace.




Les signes : parking, végétation assez rare, immeubles surgissant en groupe, espace libre entre les constructions. On y comprend également facilement l'époque pour l'œil appartenant à cette génération à cause des modèles automobiles et de ce quelque chose qui fait que les constructions sont neuves, parfaites, nettes.
L'éditeur de cette carte postale Raymon, on le connaît bien. On en a vu ici beaucoup de représentations, d'éditions. On aimerait en retrouver le fonds d'archives tant cet éditeur, à écumer ainsi les espaces de cette banlieue ici nommée par lui-même Les Grands Ensembles avec des majuscules comme pour dire que l'époque est à l'admiration. Nous sommes, peut-être aurez-vous reconnu, à Vigneux devant les tours aujourd'hui disparues. On notera, une fois encore également, que l'expéditeur de la carte postale, ne dit rien de négatif ou positif sur le lieu et cette image. Seule une minuscule croix au stylo-bille note un espace dont on peut imaginer qu'il est celui de l'habitation de l'expéditeur sans en être certain. Il y a bien ici encore cet usage de reconnaissance du lieu, ce désir de s'y inscrire.




Pourquoi donc avoir cadré ainsi ? Pourquoi aujourd'hui en regardant cette carte postale aurions-nous vite fait, comme Martin Parr de la penser boring (ennuyeuse) ? Pourquoi penser que ce photographe n'aurait pas été conscient de cet espace et n'aurait que, dans un hasard amusé ou distant, fait vite son travail pour ne rien dire de vraiment intéressant ?
Car si on prend le temps de regarder ce qui figure sur cette carte postale ce n'est pas rien. Il s'agit d'un morceau de ville, tel qu'il est, dans sa réalité. La mode aujourd'hui est au doute des images, à leur toujours mise en accusation. Pourtant ici, c'est bien le réel qui est saisi presque prosaïquement, dans sa force visuelle enregistrée mécaniquement par un appareil photographique placé, là, précisément, volontairement.
En fait, le photographe nous montre bien quelque chose et pas un vide, même si ici, aujourd'hui ce quelque chose nous le lisons comme une absence de sujet alors même que ce vide est un espace urbain, décidé, planifié, résolument politique et volontaire. Il ne faudrait pas confondre notre projection sur un espace et cet espace. Oui, la ville de Vigneux peut se reconnaître dans cette photographie. Oui, il y a bien eu ce moment spatial, un parking, des automobiles, un groupe scolaire moderne et des tours immenses distanciées laissant, immense, le ciel en descendre. Ne doit-on pas se réjouir de la réalité de cette spatialité perçue par un photographe qui raconte ainsi les aménagements urbains, les choix architecturaux, la place faite à l'automobile, l'élan constructif d'une période ? Il n'est pas question ici de juger béatement de la qualité de cet espace et de cette architecture mais simplement de dire combien d'informations historiques sur un état de la ville contient bel et bien cette image populaire. Certaines historiennes de la banlieue devraient bien ouvrir leurs yeux. C'est avant tout une chance inouïe que d'avoir ainsi une position photographique sur ce type d'espace et même si cette image est aussi une construction, il est alors nécessaire de l'analyser, simplement, tranquillement sans y projeter à rebours une critique de l'image et de l'architecture par trop orientée à son échec relatif. Il faut d'abord regarder avant d'analyser. Et la valeur populaire de cette image ne doit pas être une raison d'un dédain ni, pire, d'un doute surtout quand on se déclare du côté de l'Histoire...
Et regardez maintenant :




Vous allez tout reconnaî§tre, tout : de la qualité d'impression de cette carte postale aux détails des automobiles identiques, à l'inscription à la craie sur le trottoir, et même à la spatialité.







Nous sommes bien au même endroit et même au même moment, dans une suite spatio-temporelle pertinente nous racontant à la fois ce qui est cadré que le mode de cadrage et le travail effectué par ce photographe. Si objectivement on peut affirmer qu'il s'agit bien d'un seul photographe, on ne voit pas bien pourquoi il y aurait eu deux photographes au même instant au même moment sur ce lieu, on ne peut pas savoir dans quel ordre les deux clichés ont été réalisés. Mais on peut très facilement comprendre qu'il ne s'agit pas d'un hasard mais bien d'objectifs d'images nécessaires et possibles aux commerces de ce type d'images. L'une, la première, montre un groupe scolaire, le lieu des études et permet aux correspondants de dire que les enfants vont là, à l'école. Les cartes postales d'écoles sont à elles seules un corpus et une habitude, une tradition même. Il n'y a donc dans ce choix rien de particulier, d'extraordinaire et le marché diffuse largement sur la demande des clients ce type d'images qui répondent donc à une culture de la diffusion du monde scolaire. L'autre, la seconde, nous montre un espace vert, une plate-bande engazonnée, un parking et les autos et la perspective infinie qui court jusqu'au fond de l'image et laisse apparaître une église ancienne racontant en fait le voisinage de ce grand ensemble et de la ville plus ancienne.



On peut facilement penser que cette perspective visant ostensiblement ainsi le clocher pourrait bien être une volonté du dessin de l'urbanisme de cette ville, un geste du plan. En tout cas, il est évident que le photographe en glissant de quelques centimètres sur l'asphalte de ce parking, nous donne bien à voir et comprendre deux spatialités, deux événements urbains : l'école et la rue. Ne pouvant choisir, ne désirant pas choisir et même saisissant la chance unique de pouvoir proposer ainsi, dans une grande proximité, deux événements dignes de faire image et reconnaissances, le photographe de carte postale installe son cadre à la fois conduit par les habitudes du genre et dirigé par le plan urbanistique et architectural de la ville. Il est en quelque sorte pris entre une liberté et une histoire du genre. Il aurait bien pu ici, par exemple, monter sur le trottoir et ne pas laisser voir l'inscription à la craie (Bertand Est ?). Il aurait pu évacuer de l'image les automobiles et je n'aurais alors pas pu écrire cet article car je n'aurais pas saisi la proximité spatio-temporelle de cette série de cartes postales. Le photographe est arrivé là, il a sorti son appareil photographique dans cet espace. Personne. Pas de piéton, pas d'usagers de la ville, ils seront signifiés par leurs autos et les inscriptions sur le trottoir. Il fait un premier cliché, à hauteur d'homme, puis il s'aperçoit, comprend, devine, que là, en quelques centimètres il est possible d'en faire un autre. Économie de temps, d'espace, de travail. Il saisit en fait la forme de la ville, la manière dont on y a pensé le dessin des rues, des espaces, des constructions. Il fait exactement le geste prévu par l'urbanisme, il en est témoin. Pourquoi s'en priver, pourquoi ne pas penser que c'est bien vu cette perspective sur l'église, comment laisser de côté la proximité du groupe scolaire ? Il y a là, peut-être un signe de rapidité, de saisissement, et donc de professionnalisme.  Un photographe aguerri qui rentrera à la maison d'édition heureux d'avoir en peu de temps réussi à fabriquer deux images commercialisables rapidement. C'est bien, au-delà des images, un geste photographique que l'on peut percevoir ici grâce à l'édition de ces deux cartes postales Raymon.
Il n'y a pas de jugement du lieu, du moins il y a juste une présence active dans celui-ci qui dit quelque chose de la pratique photographique et de l'urbanisme. Il faut donc tranquillement s'en réjouir, tenter de suivre l'histoire de ces cadrages, comprendre leurs raisons, admettre aussi que ce qui préoccupe le photographe c'est bien de faire son métier c'est-à-dire d'offrir des images de reconnaissances et de partage. Cela ne vaut aucun dédain, cela mérite une objectivité de l'analyse, cela réclame, oui, j'ose, un peu d'amour.


2 commentaires:

  1. LECLERCQ URBANISTE10 janvier 2016 à 02:03

    SIEMP, Immobilière 3F et autres
    R. Lopez et G. Tourry, arch.,
    H. Santelli, collab
    « Dans le quartier de la Croix-Blanche, à Vigneux-sur-Seine, une diversification des quartiers est également recherchée par le groupement et la variation des volumes construits – tours (13, 18 et 23 étages), barres (3 et 4 étages), plots (4 étages), pavillons en bande.
    Cependant, les constructions implantées sur de grandes parcelles sont desservies par des voies privées, souvent en impasse et mal reliées au réseau viaire communal.L’implantation des bâtiments est indépendante des limites parcellaires : leur orientation se fait en fonction de l’ensoleillement (façades orientées nord-est/sud-ouest ou perpendiculairement).Il n’y a pas de continuité urbaine car pratiquement aucun bâtiment n’estparallèle auxvoies(hormis les voies de desserte internes au quartier). Cette organisation urbaine est une négation de l’îlot et de la rue traditionnelle.
    Les espaces extérieurs banalisés ne ménagent pas de transition entre l’intérieur (les logements) et l’extérieur, où tout est ouvert, d’accès public. L’absence de véritable traitement urbain ou paysager de ces espaces, parkings et espaces verts accentue l’impression d’abandon et de perte du sens de l’urbanité. » Trouvé sur Mémoire et projets en Essonne.

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  2. Je connais l’éditeur Raymon dont la fabrique se trouvait à Bobigny. J'ai contacté il y'a quelques années le fils qui a repris l'affaire mais hélas le catalogue et toute les vielles cartes postales ont été bazardés , il me semble. Que de trésors chez cet éditeur dont pas mal de clichés sont de purs chef d’œuvre. Rarement la banlieue ( et spécialement la seine saint denis ) n'ont été aussi joliment figé dans le temps.

    Nasser

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