jeudi 25 septembre 2014

Mariée comme un nu descendant un escalier



-Mais dis donc Papy c'est quoi cette carte postale ?
Alvar venait de trouver la carte postale un peu mal rangée dans un dossier "escalier", débordant par le haut des pages. Jean-Michel sortit de sa torpeur et hésita pendant deux secondes entre un sentiment de gêne et un rire ouvert. Il choisit le rire ouvert.
-Mais Alvar, regarde bien cette carte postale, regarde bien...
-Ba je comprends bien que là, Papy, c'est sans doute pas l'architecture qui t'intéressait... Quoique cet escalier de plongeoir en vis est assez beau. C'est où ? À Monte-Carlo ? L'heure du bain au Beach ?
-Oui ! Et ?....
-Ba, je ne sais pas moi, c'est toi qui as dessiné l'escalier ?
-Ah non ! Pas celui-là mais c'est vrai que ce fut l'un de mes tous premiers chantiers et... donc... tu ne devines pas ?
-Non... y a de belles pin-up !
-Et ?
-..........
Sans même montrer à Alvar, Jean-Michel précisa :
-En haut de l'escalier, la deuxième en partant de la gauche, le bras levé...
-Oui, elle est jolie... Oh Putain ! Pardon !... Enfin... C'est Mamy ?!



-Eh oui... C'est ta grand-mère, c'est Jocelyne ! On était plus jeune que toi aujourd'hui ! J'avais tout juste 19 ans et elle 20. En fait, j'étais venu au bras de la première sur l'escalier au milieu, une jeune finnoise rencontrée en camp de jeunesse en Hollande, juste après guerre. Elle venait voir la France, Vicky ! Elle, est repartie avec Günter un étudiant en droit allemand et moi, moi, je suis reparti avec Jocelyne !



-Eh bien, tu t'ennuyais pas !
-Dis donc ! Toi non plus je crois savoir...
-Mais pourquoi cette carte postale, cette photo ?
-Tu demanderas à ta grand-mère si tu en as le cran... En fait, j'étais au boulot même si cela ne se voit pas sur ce cliché. J'étais bien venu là pour le chantier et pour fêter la réouverture de la piscine, ils avaient eu l'idée de cette carte postale. Tu imagines bien que je l'ai achetée, d'ailleurs, ta grand-mère n'a eu connaissance de cette carte dans mes affaires que très tard ! Je la planquais à l'agence.
-Et la finnoise, elle est devenue quoi ?
-Vicky ? Elle s'est mariée, elle vit à Stuttgart avec Günter. Elle aussi est grand-mère !
-Mais pourquoi, il y a aussi cette carte postale d'escalier rangée avec ?



-Fais voir...
-Ah, celle-là ! Elle est moins sexy non ? Il n'y a pas ta grand-mère dessus ! C'est mon premier vrai chantier avec les responsabilités et le suivi du chantier. Un escalier... Tu imagines... J'avais fait le dessin et les calculs pour les appuis et j'avais dirigé les gars sur le chantier. J'avais 22 ans ! Et les types 10 à 15 ans de plus que moi. Tu m'aurais vu, un vrai petit roquet ! Mais c'est là que j'ai fait la connaissance de Luigi, l'un des maçons italiens qui est devenu notre chef de chantier pendant plus de 25 ans à l'agence. Un type solide et sérieux.
Mais Jean-Michel finissait sa phrase tout seul, il entendit les pas d'Alvar son petit-fils s'éloigner dans la maison. Au fond du couloir, Alvar, la carte postale à la main appelait déjà sa grand-mère. Jean-Michel, sourire aux lèvres, se tassa sur son fauteuil, attendant l'orage qui allait venir. Pourtant, il ne réussit seulement qu'à entendre :
-Oh! Dis donc ! Il y a longtemps que je l'avais vue cette carte ! Ton grand-père la cachait dans son tiroir à l'agence ! Que de souvenirs ! Regarde Alvar, là c'est moi et là c'est Vicky ! Et ton grand-père, il est derrière le photographe ! Jean-Michel, regarde, tu as vu ce que Alvar a trouvé ? Jean-Michel ? Jean-Michel ?.......










Par ordre d'apparition :
Monte-Carlo, l'heure du bain au Beach, éditions Rella, expédiée en 1945.
Sotteville-sur-Mer, la descente à la plage, Combier éditeur.

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