mercredi 21 mai 2025

Chez moi, Jacques Couëlle ?

 Hier, je décide de faire d'une pierre deux coups. J'avais rendez-vous au C.A.T de mon frère pour les portes-ouvertes de son atelier et comme le soleil brillait, je choisis d'y aller à pied ce qui représente une belle petite promenade. Nez au vent, j'arrive un peu trop tôt et je prends la décision au lieu d'attendre devant la porte de poursuivre mon chemin comme attiré par je ne sais quoi, comme si la route me disait d'avancer. Je m'étais donné comme limite l'orée de la forêt, là-bas, au loin.

Soudain, je tombe sur ce qui va suivre ! Je n'en reviens pas ! Mon sang ne fait qu'un tour. Je suis à seulement deux minutes de la résidence des Tilleuls de Louis Miquel pour laquelle j'ai demandé une Labelisation et me voici devant un mystère architectural qui, pourtant, résonne facilement. Tout (le traitement des formes, de l'échelle et le dessin des voutes) me fait penser soit au temple de Saint-Georges-de-Didonne soit, bien entendu aux expériences de Jacques Couëlle et ses fameuses fusées céramiques que nous avons défendues si souvent sur ce blog.

Malheureusement...personne dans la maison pour me renseigner sur son origine. Il faudra que je fasse des recherches auprès des permis de construire. Je vais tenter de repasser devant la maison pour y trouver quelqu'un.

Si cette petite maison se trouvait être une maison en fusées céramiques ce serait alors un petit trésor à étudier et préserver d'urgence. D'urgence...

La maison est toute petite et on remarque surtout la charge un peu épaisse de la toile goudronnée qui en fait l'étanchéité du toit ce qui n'est pas très beau (il faut bien l'avouer) et qui est le signe, peut-être, avec le temps de soucis d'infiltrations...Cela rappelle vraiment le temple Protestant de Saint-Georges-de-Didonne.

Je suis totalement excité de cette découverte dans ma ville alors que j'ai constaté dimanche que la station-service de Jean Prouvé à Oissel a, elle, malheureusement disparu. Détruite ? Sans doute...Comment se fait-il qu'une telle construction ne fut pas à temps protégée ? Qu'ont donc (pas) fait les autorités patrimoniales de Normandie pour laisser une telle oeuvre être détruite, disparaitre de son territoire ? 

On pourrait en tout cas noter une présence de Jacques Couëlle par trois fois en Seine Maritime. Qu'est-ce qui expliquerait alors cette densité de cet architecte sur ce territoire ? Et comment les autorités patrimoniales et les acteurs de l'architecture pourraient s'emparer d'un tel héritage ?

Quand on voit l'avenir des Verres et Aciers de Marcel Lods dans ma région...

Pour retrouver Jacques Couëlle en Normandie et ailleurs (avant destruction) :

https://archipostalecarte.blogspot.com/2024/05/serqueux-in-extremis.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2023/09/journees-europeennes-du-patrimoine-cest.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2023/02/des-temples-royan-et-alentours.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2018/09/la-tuile-bouteille-est-une-fusee.html

https://archipostalecarte.blogspot.com/2014/06/je-choisis-larchitecture.html








samedi 17 mai 2025

C'est un peu partout la Pologne

 Il fait bien frais ce matin à Oissel. Un seul stand me propose des cartes postales modernes perdues au milieu de plusieurs classeurs de cartes anciennes. La conversation s'engage avec un monsieur qui cherche des cassettes audio et qui veut savoir "si ça vaut le coup d'apporter des cartes postales sur un vide-grenier". Le vendeur-collectionneur et moi-même lui répondons que oui ! On s'amuse alors de mes recherches, les deux messieurs ont l'air intrigué de me voir ramasser les cartes postales qui suivent. Je tente une explication rapide. "Faut de tout pour faire un monde" me rétorque alors mon vendeur. Un euro plus tard, je glisse mes cartes dans ma poche. Oh...rien de bien rare mais, par contre, d'assez typique d'une certaine production architecturale et éditoriale qui d'ailleurs par son esthétique laisse croire à mon vendeur qu'il s'agit de la banlieue parisienne. Cette reconnaissance d'une certaine typologie m'intéresse et elle est la preuve d'un certain partage culturel entre la France des années 50 et 60 et la même période en Pologne, puisque ces cartes postales viennent bien de ce pays. Il y a donc chez tout le monde des images-types qui font vibrer un commun des images et de l'architecture. Il faut être assez clair d'ailleurs sur le fait que ces modèles architecturaux et les conceptions qui s'y rattachent furent bien diffuser dans l'Europe entière et ailleurs également. En ce sens, le chemin de grue et la préfabrication lourde (système Camus par exemple) furent bien une orientation générale au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il n'y a donc rien d'étonnant qu'on s'y retrouve, qu'on s'y perde, qu'on aime se faire avoir sur la localisation de ces typologies (pour parler comme un artiste contemporain ).
Il fut une époque aussi où on trouvait régulièrement et assez facilement sur les vides-greniers des cartes postales du bloc de l'Est. Il était aisé, il y a dix ou quinze ans de faire une collection de ce genre de cartes. Sans doute qu'il y avait eu des agences de voyages, des échanges, des séjours organisés qui voulaient montrer l'essor des pays de l'Est en en montrant les qualités de sa Modernité. On a du mal à croire que aujourd'hui la Pologne se laisserait ainsi représentée...
Mais qu'importe ! Régalons-nous de ces beaux blocs, de ces belles façades géométriques, de ce Plattenbau soviétique si cher à mon ami Nicolas Moulin ! Il me faudra finalement faire un classeur pour les ranger toutes ces cartes postales qui sont, pour l'instant, dans une boite Ikea, agissant comme un retour amusant de l'Histoire.



On commence avec cette magnifique carte postale de Poznan dont la photographie est de Jablonskie. La vie semble radieuse...Et comment ne pas remercier la chance de vivre une époque où, en deux cliques sur un moteur de recherches, on trouve le nom des architectes de cette superbe façade : Jan Weclawski et Jan Ciezlinski.  La carte non écrite et non datée est une édition Ruch. On aime aussi la tour-signal qui serait du même duo.
Allez faire un tour sur ce beau blog (Louis, tu devrais adoré) :



Des mêmes architectes, le très graphique et moderne hôtel Mercury dont rien que l'auvent de l'entrée donne envie d'y aller dormir. On note que c'est le même éditeur et photographe qui travaillent. On imagine dans le milieu des années soixante l'arrivée en bus à cet Hôtel dans la Pologne soviétique. Ça devait être quelque chose comme expérience. La façade courbe avec son damier fait toute l'écriture de cette beauté. On adore.



Et voilà la pureté du Plattenbau, de la préfabrication lourde, tout ce que j'aime. Les dalles ont gardé la lecture de leurs joints, la répétion des petits blocs (quatre étage seulement), le bleu qui pourrait bien être en carreaux de céramiques, les petits balcon très Bauhaus, tout cela m'enchante. J'aime la colorimétrie générale que la qualité un peu pauvre de l'édition tire sur le bleu. Nous sommes toujours à Poznan, toujours avec le même éditeur et le même photographe. 
Comment ne pas se régaler ainsi de cet héritage moderne de la Pologne qui semble donc, si on en croit l'existence du blog nommé plus haut, bien étudié et surveillé. Ouf...Espérons que l'ANRU ne s'installe pas en Pologne...


vendredi 2 mai 2025

François Spoerry le prisonnier

Il faut, pour bien se faire comprendre, avoir de solides détestations.
Il faut savoir haïr avec grâce, délectation, il faut avoir une joie sereine à avoir, si ce n'est un ennemi, au moins un objet de dégoût.
L'autre chose aussi, pour donner de la puissance à ce sentiment et en faire une part intime de son identité, c'est de savoir avec le temps relativiser ce sentiment. Il parait qu'il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis.
Mes haters (anglicisme ici pratique) seront ravis de penser pendant quelques minutes que j'aurai pu changer d'avis sur Port Grimaud de Spoerry, son architecte :

Qu'ils se rassurent, je reste un imbécile et je continue de penser que c'est vraiment, d'un point de vue architecturale une véritable saloperie, une forfanterie, le pire retournement de l'Histoire de l'Architecture. Pourtant, le temps passant, on voit ce lieu acquérir avec la patine réelle du temps une sorte de noblesse dont les investisseurs de l'époque, les premiers clients, (je fais exprès de ne pas dire ici habitants) peuvent effectivement se targuer. Il y a peu, sur une chaine nationale, nous avons donc eu droit à un petit reportage sur l'histoire de cette machine théâtrale oubliant bien entendu de révéler la farce historiciste de ce palais de carton-pâte. Après tout, on peut bien aimer vivre dans un théâtre. On peut bien s'aveugler et jouer à la maison de poupée en lieu et place de vivre.
Comme disait le Pape François : Qui suis-je pour juger ?

Pourtant, une certaine nostalgie sur des images parfaites s'empare de moi. Elle est surtout liée à Brigitte Bardot voguant au milieu des canaux dans ce décor vide. Brigitte Bardot que j'adore, dont je suis fan. Et cette carte postale Mar est d'une qualité époustouflante ! N'auriez-vous pas aussi envie de faire un tour sur l'onde de cette Venise Varoise (sic!) avec Brigitte  ?
Rappelez-vous :

Dans l'entre-soi d'une droite de petits propriétaires ravis de son investissement, nous pourrions nous aussi vivre l'illusion sans trop de remord, dans une persuasion festive, dans le carnaval des apparences après tout si représentatif de la bourgeoisie. Je glisse sur l'onde, un Spritz à la main, surprenant par les fenêtres largement ouvertes, la vie douce et peinarde de ce faux village. Je m'y vois comme dans la visite du village si célèbre de la série Le Prisonnier...Portmeirion...Port Grimaud.
Des prisonniers de leurs illusions, voilà comment on doit habiter Port Grimaud...
Mais que l'image est belle...Vraiment...J'y suis. Et oui, je l'avoue, je suis jaloux.


Ne croyez en rien de ce que vous voyez sur cette autre carte postale Combier. La seule vérité c'est bien que, comme elle l'indique au verso, François Spoerry en est bien l'architecte. J'aurais mis concepteur. Et si tout est si tranquille c'est que tout y est faux. C'est un parc d'attractions dans lequel on vient reposer sa tête des affres du monde, dans une tranquillité lénifiante, émolliente qui ramollit tout, même le désir de s'en échapper. Un sépulcre romantique à ciel ouvert, une sieste de mille ans, quelque chose de perdu entre une dépression flaccide et une lobotomie volontaire.
Port Grimaud est un masque.
Je ne cesserai d'en dire le Mal.
Vivement la montée des eaux.

pour voir ou revoir ce lieu (et mon avis inchangé) :
pour voir autre chose de Spoerry :


jeudi 1 mai 2025

le goût des églises rudes

L'effet de masse de mes classeurs où sont rangées les églises modernes et contemporaines me permet d'avoir une appétence  pour une certaine école, une certaine typologie de l'Art Sacré du Vingtième Siècle.
On sait que ces églises dans cette période ont eu le droit à toutes les formes et toutes les écoles possibles : du béton rationaliste d'un Auguste Perret, de la fantaisie lyrique d'un Le Corbusier, ou du génie constructif d'un Gillet, la multitude des formes et des écritures est à son comble. Mais il y a donc aussi une école d'une écriture plus modeste, plus paysanne, plus historiciste voulant concilier la Modernité à une tradition, une volonté de modestie un peu revancharde qui, à force de vouloir jouer la carte de l'effacement, hurle un peu trop ce désir de tradition pour ne pas dire de réaction
Il n'y a peut-être pas pire que cette modestie face à l'Histoire, modestie qui voudrait surjouer sa disparition, une architecture d'églises un peu taiseuses, églises un peu rudes, revêches se refusant un peu ostensiblement aux gesticulations modernistes ( et à Vatican 2 ?) ce que par ailleurs, à la vue de certaines expériences, on peut comprendre. Faire la messe dans un bunker est certes l'une des plus belles et subversives idées mais n'est pas forcément une expérience qui est nécessaire à tous et toutes.
Suivez mon regard à l'oblique...

Alors je tente un rapprochement qui je l'espère sera bien compris non comme une vérité mais bien plus comme une certaine sensibilité à cette écriture. Maurice Novarina est sans aucun doute le chef de file de ce genre. Et quelle chance de le revoir, puisque je dois justement ranger ces deux cartes postales de l'église Notre-Dame-des-Alpes à le Fayet.



Cette très belle carte postale des éditions Yvon est imprimée en héliogravure certainement pour l'économie de son édition, la carte postale servant à envoyer un don à l'Abbé Domenget. On note que la carte nous donne quelques précisions architecturales qui semblent importantes à donner aux visiteurs : perron entouré de jardinière, immense toit d'une seule tenue descendant très bas et recouvert de tuiles vieillies, claustra de 10m2 d'ouvertures, clocher en forme de cheminée de chalet savoyard. Oui !

On devine facilement que tous ces détails tentent bien de montrer que l'église hésite entre sa modernité et des signes de la tradition, on dirait aujourd'hui son intégration ou mieux sa...contextualisation...Par contre, le nom de Maurice Novarina comme architecte est absent...L'ensemble est massif, volontairement très ancré dans le sol, la pierre apportant à l'oeil ce sentiment de solidité, de construction faite pour durer, une permanence qui devra traverser le temps des Hommes. On pourrait presque la croire fortifiée, le rapport entre les surfaces et les ouvertures ne laisse que peu de place à un accueil généreux même si les deux cylindres de l'entrée font croire à un geste d'ouverture. 


Cette autre carte postale nous montre que l'église joue avec son terrain en pente. Là encore, tout respire la massivité et la couleur ne permet pas de relativiser ce sentiment, au contraire même. C'est quand même un rien raide. Aujourd'hui, une visite sur Google Maps nous fait comprendre que l'église est littéralement encaissée, enchâssée dans un creux très peu amène à nous laisser rêver à un quelque élan que ce soit. Au contraire, l'église est comme tapie dans son trou. C'est assez triste...ou, au contraire, à l'image de ce désir d'indifférence au Monde. Cette carte postale C.A.P nomme bien l'architecte Novarina mais pas son photographe. La carte fut expédiée en 1964 avec le beau timbre de Jean Cocteau. 



Vous ne lui trouvez pas un petit air de famille ? Cette fois, nous sommes en Bretagne à Vannes-Trussac dans le Morbihan devant l'église Notre-Dame de Lourdes par l'architecte Meyer qui est bien nommé sur cette belle carte postale coloriée Artaud. On retrouve ce sentiment de rigueur, d'âpreté que la pierre massivement utilisée renforce. J'adore ça ! Ça se refuse un peu, ça ne veut pas tout donner de suite ! Car les images de l'intérieur sont assez spectaculaires surtout pour ce qui est du traitement superbe de sa charpente. Rien ne doit être plus étonnant que le contraste entre le dehors et le dedans au moment du passage du porche. On a l'impression que le toit sous son poids a enfoncé les murs dans le sol. Toute la place est donnée au toit et au jeu des tuiles. Est-ce que la Bretagne et la Montagne se retrouveraient sur le terrain d'une certaine rigueur de la Foi ? Est-ce que Meyer connaissait les églises de son camarade Novarina ? Sans aucun doute...



Cette autre carte postale, Combier cette fois, nous permet de mieux apprécier les proportions de l'église et donc la place gigantesque accordée au toit devenu l'épiderme essentiel de la construction. Notez à nouveau le beau jeu des tuiles agissant comme des pixels éparpillés. Les huisseries des portes en bois massif et appliques de métal forgé ne laissent aucun doute sur le désir d'historicité du lieu. Il faut sans aucun doute que l'église Notre-Dame de Lourdes donne immédiatement à l'oeil son sentiment de solidité. J'aime beaucoup ce dessin très épuré, très radical, un peu générique et sans fioritures dont le seul agrément est la lumière qui fait friser les ombres des pierres qui s'opposent au lisse des tuiles faisant image. On sent sous la main le grain des blocs de pierre. C'est une déclaration claire et un peu appuyée d'un désir d'appartenir à une histoire du granit.



Beaucoup plus modeste, voici donc La Chapelle de la Toussuire en Savoie. l'architecte est nommé sur cette carte postale Combier, il s'agit de Mr Toulouse, architecte à St-Jean-de-Maurienne. 
Quel objet modeste ! Quelle plaisir de voir sur un si petit projet cette envie tout de même de faire signe, de porter à la fois un élan et un abri, presque une cabane, un refuge. Le pignon et le petit campanile en pierres brutes font tout le travail de sa radicalité, on devine à l'arrière un travail de parpaings ou de béton. Cette Chapelle est donc un lieu et un signe. D'ailleurs, maintenant, elle s'appelle Notre-Dame du...ski !
Vous trouverez ici des images de son intérieur et les amateurs de design devraient en aimer les chaises...
Il s'agit donc bien d'un lieu d'accueil dont la modestie de son architecture correspond parfaitement au désir d'abord d'une altérité, d'un lieu simple mais chaleureux de repos et de recueillement. En ce sens, son architecture remplit son rôle et c'est très bien comme ça.

Pour revoir Novarina si joyeusement présent sur ce blog :
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