lundi 16 octobre 2023

Peter Downsbrough agace l'oeil

 Nous avons souvent nommé ici des artistes ayant joué avec les cartes postales modernes, ayant produit des cartes postales, ayant édité ou collectionné ces mêmes cartes postales.
Voilà un nouvel exemple de rencontre grâce à Claude Lothier, artiste,  passeur d'optique, grand perspectiviste et ce n'est certainement pas anodin (au-delà d'autres questions plus personnelles) que ce soit par lui que nous rencontrerons ce matin  le travail de l'artiste minimaliste : Peter Downsbrough.

Une série de cartes postale modernes, toutes éditées chez Combier, toutes nous montrant des vues de Dijon sont proposées à la vente, assemblées les unes aux autres sous le titre :
Postcard overprint #1 Dijon 1981. Il s'agit donc d'un set vendu pour la modique somme de 110 euros.
La vache...
Claude Lothier a bien fait de photographier leur installation sur une table car cela nous permet sans doute de mieux comprendre le sens de ce travail et son agencement spatial puisque c'est bien de cela dont il est question : de lecture de l'espace. On ajoutera : de lecture de l'espace imprimé et de ce qui fonde une image.

Ce qui est assez amusant et sans doute significatif c'est que mon habitude (je ne dis pas habitus) de la lecture de cartes postales a produit un retard à la lecture de ce travail. En effet, je n'ai tout simplement pas vu l'intervention de l'artiste lorsque j'ai eu en main pour la première fois la série de cartes postales, tout heureux que j'étais d'avoir entre les mains des cartes de cette qualité correspondant point à point à ce que je cherche comme collectionneur pour ce blog.
L'artiste dira que j'étais aveuglé par la force de l'image, par l'anthropologie de ma lecture de celles-ci, pris en quelque sorte par l'autorité des images photographiques, par la reproductibilité des images. Enfin...quelque chose comme ça...
Il faudra que Claude me fasse remarquer les lignes imprimées sur les cartes postales pour que je comprenne qu'il s'agissait bien d'un système artistique et non d'une erreur d'imprimerie de chez Combier.
Je ne sais pas trop quoi penser de mon trouble car, tout de même, j'ai une certaine culture de l'image et de l'Art Contemporain qui aurait dû me permettre de comprendre immédiatement ce qui ici faisait Art

Barrer ainsi des cartes postales par un signe aussi minimal et qui vient d'ailleurs systématiquement barrer l'image sur la verticale (sans doute pour ne pas être confondu avec une définition de l'Horizon) doit vouloir dire quelque chose. Signaler d'abord le peu d'importance fétichiste à la carte postale car il s'agit d'authentiques cartes postales et non des rééditions. Il faut donc d'abord retrouver ces dites-cartes-postales, faire un travail de collecte et donc, oui Monsieur Downsbrough faire un travail de choix dont on ne sait rien.
On sent bien ici le fameux glissement contemporain, le fameux sourire en coin d'un ready-made, et du peu de considération artistique de l'objet qui est épuisé à son seul rôle conceptuel d'images sous contraintes : une carte postale. Ça devrait suffire pour tout dire ce que pense l'artiste de ce genre. Si ce n'est un dégoût de ce genre au moins un scepticisme de sa fonction de représentation du Monde. On pourrait aussi alors s'étonner que pour dénoncer ainsi la puissance de cet archétype le signe de l'artiste soit aussi modeste car on peut donc voir l'image au travers. On aurait aimé que l'artiste assume son caviardage à moins, bien sûr que tout tienne justement dans l'intention de maintenir la lecture et que le signe de l'artiste (son intervention) ne soit justement là que pour nous rappeler le plan de l'image, sa planéité, ce que Claude appellerait son tableau perspectif. On sait comment la Modernité a cru bon nous rappeler qu'une peinture (je fais exprès de ne pas redire tableau) n'est qu'une surface plane et que donc il faudrait se méfier de tout ce qui voudrait nous faire croire le contraire, de toutes les illusions de l'espace (perspectif en l'occurence).
Peut-on penser que Peter Downsbrough use encore la corde de ce qui est devenu un pensum sans réfléchir, sans vouloir justement voir et voir que ce qui constitue cette image est bien plus fort que son intervention ?
Veut-il donc continuer le combat pour en dénoncer la violence des images ou relâcher la pression dans un geste presque zen, léger, voulant maintenir la réalité de la puissance de l'image et l'exercice de sa  liberté à la lire comme un objet ?
Que fait l'artiste de la part culturelle d'une telle production d'images à part nous refaire jouer la corde usée de Walter Benjamin ? Y-a-t-il là le dégoût aussi d'une forme de verbalisation sur les images, le commentaire de celles-ci comme images de projections de découvertes, de souvenirs voire, comme moi, parfois un vrai exercice d'admiration des objets photographiés ? Car, finalement, j'arrive à passer au travers du plan ramené par Downsbrough. Même, je l'ignore. C'est donc en ce sens un échec de sa proposition.

Ce que je ne sais pas et qui (vous allez rire) me préoccupe au plus au point c'est la méthode, la technique utilisées par l'artiste pour exercer son fameux pouvoir. Comment sont imprimées les lignes noires ? 
Au dos des cartes est visible le foulage de leur impression, ce qui raconte une forme assez violente d'intervention. On dira en Art contemporain : une radicalité...
Mais si je m'inquiète ainsi de cette méthode c'est que je la crois signifiante du geste et du rapport de l'artiste à de telles images. Un geste fort ? Assumé ? Allez...violent à l'égard de ce mode de représentation ?
Pourquoi une telle force pour un objet si anodin finalement ? L'artiste croit-il vraiment que là se joue quelque chose d'assez insupportable dans notre culture des images pour mériter un geste aussi puissant ? 
Est-ce que l'industrie de la carte postale, les grands méchants industriels de la reproductibilité des images doivent  trembler devant un geste aussi farouchement vengeur ?
Suis-je bouleversé dans mon intimité des images ? 

On note que la présentation de l'édition oblige les cartes postales à s'associer par les lignes noires qui courent de l'une à l'autre sans logique spatiale. Il s'agit là encore de troubler les espaces, les rapprochements des lieux, que tout cela ne tient que par le plan de l'image et même ici le plan de la table. Le regard sur la carte postale est un regard à l'horizontale, on regarde assez peu les cartes sur les murs. On tient l'image dans les mains, on regarde les cartes dans le hasard de leur rassemblement dans une boite ou dans un classeur de souvenirs. Relier ainsi les images par un signe autoritaire qui les traverse au-delà d'un vrai sens géographique ou de promenade du voyageur ou même du spectateur, c'est bien vouloir contredire ce que l'artiste considère comme un usage normal et donc normé...
Tout le contraire en quelque sorte de la jubilante approche spatiale d'un Marin Kasimir que nous avions vu ici : http://archipostcard.blogspot.com/2010/09/marin-kasimir-paradoxalement.html

Mais si on veut pousser le bouchon, on s'amusera que l'édition de l'artiste, son intervention, fasse basculer l'objet éditorial dans celui de la collection d'Art Contemporain. Le prix de l'édition raconte le chemin vers l'exceptionnel qu'auraient fait ces cartes pour fuir leur monde populaire. Pourquoi ne pas produire au contraire dans un nombre illimité et peu cher son édition ? Ne serait-ce pas en inondant le marché de cartes postales racontant leur libération de l'image que ce travail de critique aurait pu atteindre son but ?
Limiter ainsi à un travail d'artiste réduit son champ d'intervention (et de sa pseudo-lucidité) à quelques amateurs, dans un entre-soi de cette dénonciation.
Il y a en effet peu de chances que les cartes postales de Peter Downsbrough ne voyagent pas par le Poste. Leur prix qui indique leur nouveau statut ne permettra sans doute pas beaucoup que ces cartes deviennent vraiment postales...C'est à ce prix que la définition du travail de l'artiste prend son sens ?

Alors ? On les regarde ces cartes ? Où puis-je, pour être raccord avec Peter Downsbrough et sa radicalité minimale, finalement vous laisser dans le vide de votre imaginaire en ne vous montrant rien car montrer, représenter ce serait autoritaire ?

Je ne suis pas pervers à ce point :


Voici donc le restaurant universitaire de Dijon. L'aplat du bleu du ciel discute avec franchise avec ce bloc. On note ici la force aussi du mur-rideau brillant et glacé. J'adore cette belle boite.
Combier ne nomme pas l'architecte.


Voici le Palais de la Foire de Dijon et sa spectaculaire entrée principale. L'architecte est Monsieur Barade qui n'a vraiment pas démérité en terme de jeux des formes, plaisir des matériaux, champ géométrique. C'est un signe, un signal, un spectacle nécessaire.


Voici donc l'Hôtel de Police de Dijon. Oh...Attention ! Image autoritaire ! gnagnagnagna.....
On notera que c'est encore Monsieur Barade qui est l'architecte. Deux fois donc. Il faut donc en conclure que cet architecte a beaucoup travaillé sur Dijon. Les volumes sont superbes non ? Et la blancheur est admirablement contredite par les fenêtres en bandeaux surlignées de noir.


Voici la Place Darcy et la Porte Guillaume à Dijon.


Voici le lac Kir et au fond une cité. L'éditeur nous indique que les architectes sont Georges Massé et Gabriel Parlos. Nous, On les remercie. 


Pour conclure, on notera qu'aucune carte Combier de cette série n'a identifié son photographe et que cet anonymat sert le propos de Downsbrough comme signe culturel de leur contingence à un genre. Bien entendu, lui, en signant sa série (mais pas sur les cartes) s'amuse aussi de cet anonymat des images.
Pourtant, il y a là quelqu'un qui regarde.
Ce serait intéressant de savoir ce que ce ou ces photographes pensent de cette intervention de l'artiste et de comment celui-ci a travaillé avec Combier. Suspens.

Je vous donne aussi une photographie prise par Claude Lothier de l'installation des cartes postales de Downsbrough.
Je vous conseille très vivement d'aller sur le blog de Claude Lothier si vous aimez le dessin et si les questions de la Perspective et du regard vous intéressent et j'en profite aussi pour remercier Claude pour ce très beau et très conceptuel cadeau. 




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