Comparaison n'est pas raison mais, sur ma table de chevet, deux petits livres cohabitent avec une étrange actualité.
De l'un, devenu mythique et bréviaire, j'ai enfin terminé sa lecture.
De l'autre, petit livre pour les enfants, je me régale, enfermé, de sa poésie joyeuse.
Comment pourraient-ils communiquer ensemble ces deux livres ? Le doivent-ils ? Suis-je le seul, dans le hasard de ma culture à pouvoir les comparer ?
Les voici :
Pour les utopistes, les rétro-futuristes, les écolo-post-apocalypse, les joyeux hippies et les prospectivistes des Trente Glorieuses, Yona Friedman est un pensum. Pas une expo sur les nouvelles manières d'habiter, sur les cataclysmes architecturaux, sur l'urbanisme (et retour vers la ville) sans ses dessins, ses textes, sa joie à chanter un retour (oui) à un ordre (oui) naturel (oui). Et ce n'est pas le travail d'hommage d'Alain Bublex qui m'aura permis de regretter son si peu d'influence dans la réalité du bâti. Friedman, même si il s'en défend (et ils s'en défendent tous, les moralistes) est bien un redresseur de tort partant d'un constat qu'il considère comme un échec. Rien ne va plus, tout va vers la catastrophe et je vais vous dire comment s'en sortir. Suivez-moi. Si l'analyse de l'état des lieux est parfois juste, surtout à son époque, il n'est malheureusement pas le seul à le faire et à accuser les mêmes coupables. Disons qu'il est dans l'air (au sens presque littéral) du temps, d'un temps qui l'effraie et pourtant pour lequel il participe à des concours. On aimera comment surgit soudain deux de ses projets et notamment celui de Beaubourg...Ouf...on a échappé à cela aussi...
Mais il est touchant Friedman, touchant d'attention, d'altérité, de désir de bien faire, comme tous les utopistes d'ailleurs. Peut-être que son approche, par rapport à d'autres utopistes, permet à chacun d'entre nous de réaliser ou pas cette utopie. C'est à dire de reconnaître que le Monde si horrible soit-il permet encore cette liberté de s'en détacher. Et le voilà qui part donner ses précieux conseils aux pays du Tiers-Monde...Comme les autres...
Comme pour le Monde rêvé du génial Yves Klein dessiné par Claude Parent, il faut regarder les détails pour comprendre que nul part n'apparaissent ceux qui fabriquent les outils, les matériaux, les réseaux, toutes choses qui apparaissent toujours de manière magique. Il n'y a pas d'usines. Une forme démiurgique qui n'évoque que rarement l'organisation social du travail. Mais Friedman sait par contre bien définir les éléments architecturaux, leurs rôles, leurs importances. En ce sens, ne lui jetons pas la pierre trop vite et voyons en lui un excellent architecte qui sait aussi parfaitement analyser la spatialité, son économie et ses fonctions même si il se défend un peu vite (retour de l'histoire) d'être un fonctionnaliste. Son attaque de la Chartes d'Athènes lui permet certes un bon mot mais c'est tout. Comme tout architecte qui se pique de politique, il tombe vite dans un désamour de l'existant, l'accuse de tous les mots sociaux et sociétaux, pense que l'architecture résoudra tous les problèmes car elle sera la pointe expressive d'un nouvel ordre de société. Je passerai bien vite sur son idée de l'Art et de l'esthétique, on touche au ridicule, mais là encore, il est sans doute pris dans son époque post-duchampienne, Guydébordienne, libertaro-indivualiste. Sa centralité de l'être est confondante.
On aimera par contre la beauté de ses dessins, très fins, didactiques et charmeurs. Tout est toujours beau dans les Mondes rêvés quand ils sont rêvés à l'économie de traits. Et c'est déjà ça.
Alors, aujourd'hui, là maintenant, à l'heure du confinement, à l'heure des prophètes adolescentes accusatrices, il est certainement de bon ton de voir en Friedman un lanceur d'alerte. Et les institutions prises dans les désirs de communications écologistes et de greenwashing politiquement correctes, verront dans ce livre la petite bible parfaite pour exposition "grand public" sur le monde à venir.
L'utopie, en général, ça ne fait de mal à personne.
Friedman, il est gentil, ça ne change pas grand chose et l'échec même de son rêve est sans doute la preuve qu'il est à la fois irréalisable, joyeux, un rien inutile et donc parfaitement prophétique et beau. Les gourous sont à la mode, ils sont tous dans leur jardin participatif où les herbes laissées folles cachent bien mal les toilettes sèches.
Je préfère encore l'An 01 de Gébé.
Pour le second ouvrage, j'ai un amour irrésolu, une tendresse infinie, presque une émotion larmoyante. Annie et Michel Politzer me permettent enfin d'être certain d'avoir bien vécu ma jeunesse. Et la nostalgie de ses temps heureux et compliqués est dans toutes les pages de ce petit guide : Cabanes des champs. Comme j'aurais aimé l'avoir à cet âge ! Comme j'aurai alors bien cru pouvoir en faire de même, comme j'aurai aimer partir dans les terrains vagues avec frères et copains pour scier, couper, penser, inventer des espaces. Nous le faisions, sans jamais vraiment réussir mais je crois que la cabane des enfants se doit d'échouer car ce qui compte le plus c'est bien l'espace moral du chantier, du projet, la synergie des imprécisions et des inaptitudes de l'enfance tout autant que la réussite probable du projet. Les adultes, ici Monsieur et Madame Politzer n'ont pas démérité et ils veulent que les enfants voient pour de vrai des réalisations abouties. C'est leur rôle d'adultes d'emmener vers cette perfection et de donner les clefs de la réussite. Mais si je rêve si facilement de cet état de l'enfance, je crois aussi que je suis fait de toutes les cabanes ratées, écroulées, mal fagotées que nous abandonnions au bout de deux heures d'effort, après une fâcherie sur celui qui devait couper les fougères ou sur le copain ayant pissé trop près de l'entrée. La meilleure cabane que nous ayons réalisée était bien une cabine de camion abandonnée dans un terrain. Et elle était, en quelque sorte, déjà bien construite.
Au fil des pages, les auteurs expliquent et montrent les projets, leurs implantations, parlent du respect des terrains, de la faune, de l'histoire. Je me reconnais immédiatement dans les absences de coupes de cheveux, dans le peu de vêtements, dans cette liberté du soleil sur la peau. Je me reconnais.
Les dessins de Michel Politzer sont impeccables, de cette beauté didactique, de cette franchise de l'explication et les photographies sont pleines de soleil en fin d'après-midi, de ce orange lumineux qui confine à la grâce. J'adore ce livre, c'est pour moi l'un des plus essentiels livres d'architecture, le plus juste, le plus important. Et la survie que chante Friedman est là, toute entière, dans la joie de faire ensemble, dans l'admiration des grands-frères qui savent utiliser un outil, dans l'imperfection fruste, dans le temps qui passera sur ces fragiles cabanes et dont l'enfant sait et saisit bien à la fois l'inachèvement et l'éphémère. Le brutalisme, le vrai, est tout entier dans ce livre.
Merci, merci Annie et Michel Politzer.
Alors je prêterai volontiers le premier volume, celui de Friedman, mais tout comme Raymond Roussel refusant de prêter ses volumes de Jules Verne, ne me demandez jamais de vous prêter Cabane des champs. Il est à moi, il est à moi, comme disent les enfants, petits tyrans de leur trésor et qui l'oublient soudainement au matin d'une fin d'adolescence.
Les photographies ne sont pas terribles car je ne voulais pas casser la reliure de mes ouvrages. L'article n'a vocation qu'à vous donner envie de vous les procurer (et éventuellement de les lire). Merci.
L'architecture de survie où s'invente aujourd'hui le monde de demain
Yona Friedman, Casterman
1978
Cabanes des champs
Annie et Michel Politzer
Kinkajou/Gallimard
1974
50 centimes sur un vide-grenier...
De l'un, devenu mythique et bréviaire, j'ai enfin terminé sa lecture.
De l'autre, petit livre pour les enfants, je me régale, enfermé, de sa poésie joyeuse.
Comment pourraient-ils communiquer ensemble ces deux livres ? Le doivent-ils ? Suis-je le seul, dans le hasard de ma culture à pouvoir les comparer ?
Les voici :
Pour les utopistes, les rétro-futuristes, les écolo-post-apocalypse, les joyeux hippies et les prospectivistes des Trente Glorieuses, Yona Friedman est un pensum. Pas une expo sur les nouvelles manières d'habiter, sur les cataclysmes architecturaux, sur l'urbanisme (et retour vers la ville) sans ses dessins, ses textes, sa joie à chanter un retour (oui) à un ordre (oui) naturel (oui). Et ce n'est pas le travail d'hommage d'Alain Bublex qui m'aura permis de regretter son si peu d'influence dans la réalité du bâti. Friedman, même si il s'en défend (et ils s'en défendent tous, les moralistes) est bien un redresseur de tort partant d'un constat qu'il considère comme un échec. Rien ne va plus, tout va vers la catastrophe et je vais vous dire comment s'en sortir. Suivez-moi. Si l'analyse de l'état des lieux est parfois juste, surtout à son époque, il n'est malheureusement pas le seul à le faire et à accuser les mêmes coupables. Disons qu'il est dans l'air (au sens presque littéral) du temps, d'un temps qui l'effraie et pourtant pour lequel il participe à des concours. On aimera comment surgit soudain deux de ses projets et notamment celui de Beaubourg...Ouf...on a échappé à cela aussi...
Mais il est touchant Friedman, touchant d'attention, d'altérité, de désir de bien faire, comme tous les utopistes d'ailleurs. Peut-être que son approche, par rapport à d'autres utopistes, permet à chacun d'entre nous de réaliser ou pas cette utopie. C'est à dire de reconnaître que le Monde si horrible soit-il permet encore cette liberté de s'en détacher. Et le voilà qui part donner ses précieux conseils aux pays du Tiers-Monde...Comme les autres...
Comme pour le Monde rêvé du génial Yves Klein dessiné par Claude Parent, il faut regarder les détails pour comprendre que nul part n'apparaissent ceux qui fabriquent les outils, les matériaux, les réseaux, toutes choses qui apparaissent toujours de manière magique. Il n'y a pas d'usines. Une forme démiurgique qui n'évoque que rarement l'organisation social du travail. Mais Friedman sait par contre bien définir les éléments architecturaux, leurs rôles, leurs importances. En ce sens, ne lui jetons pas la pierre trop vite et voyons en lui un excellent architecte qui sait aussi parfaitement analyser la spatialité, son économie et ses fonctions même si il se défend un peu vite (retour de l'histoire) d'être un fonctionnaliste. Son attaque de la Chartes d'Athènes lui permet certes un bon mot mais c'est tout. Comme tout architecte qui se pique de politique, il tombe vite dans un désamour de l'existant, l'accuse de tous les mots sociaux et sociétaux, pense que l'architecture résoudra tous les problèmes car elle sera la pointe expressive d'un nouvel ordre de société. Je passerai bien vite sur son idée de l'Art et de l'esthétique, on touche au ridicule, mais là encore, il est sans doute pris dans son époque post-duchampienne, Guydébordienne, libertaro-indivualiste. Sa centralité de l'être est confondante.
On aimera par contre la beauté de ses dessins, très fins, didactiques et charmeurs. Tout est toujours beau dans les Mondes rêvés quand ils sont rêvés à l'économie de traits. Et c'est déjà ça.
Alors, aujourd'hui, là maintenant, à l'heure du confinement, à l'heure des prophètes adolescentes accusatrices, il est certainement de bon ton de voir en Friedman un lanceur d'alerte. Et les institutions prises dans les désirs de communications écologistes et de greenwashing politiquement correctes, verront dans ce livre la petite bible parfaite pour exposition "grand public" sur le monde à venir.
L'utopie, en général, ça ne fait de mal à personne.
Friedman, il est gentil, ça ne change pas grand chose et l'échec même de son rêve est sans doute la preuve qu'il est à la fois irréalisable, joyeux, un rien inutile et donc parfaitement prophétique et beau. Les gourous sont à la mode, ils sont tous dans leur jardin participatif où les herbes laissées folles cachent bien mal les toilettes sèches.
Je préfère encore l'An 01 de Gébé.
Pour le second ouvrage, j'ai un amour irrésolu, une tendresse infinie, presque une émotion larmoyante. Annie et Michel Politzer me permettent enfin d'être certain d'avoir bien vécu ma jeunesse. Et la nostalgie de ses temps heureux et compliqués est dans toutes les pages de ce petit guide : Cabanes des champs. Comme j'aurais aimé l'avoir à cet âge ! Comme j'aurai alors bien cru pouvoir en faire de même, comme j'aurai aimer partir dans les terrains vagues avec frères et copains pour scier, couper, penser, inventer des espaces. Nous le faisions, sans jamais vraiment réussir mais je crois que la cabane des enfants se doit d'échouer car ce qui compte le plus c'est bien l'espace moral du chantier, du projet, la synergie des imprécisions et des inaptitudes de l'enfance tout autant que la réussite probable du projet. Les adultes, ici Monsieur et Madame Politzer n'ont pas démérité et ils veulent que les enfants voient pour de vrai des réalisations abouties. C'est leur rôle d'adultes d'emmener vers cette perfection et de donner les clefs de la réussite. Mais si je rêve si facilement de cet état de l'enfance, je crois aussi que je suis fait de toutes les cabanes ratées, écroulées, mal fagotées que nous abandonnions au bout de deux heures d'effort, après une fâcherie sur celui qui devait couper les fougères ou sur le copain ayant pissé trop près de l'entrée. La meilleure cabane que nous ayons réalisée était bien une cabine de camion abandonnée dans un terrain. Et elle était, en quelque sorte, déjà bien construite.
Au fil des pages, les auteurs expliquent et montrent les projets, leurs implantations, parlent du respect des terrains, de la faune, de l'histoire. Je me reconnais immédiatement dans les absences de coupes de cheveux, dans le peu de vêtements, dans cette liberté du soleil sur la peau. Je me reconnais.
Les dessins de Michel Politzer sont impeccables, de cette beauté didactique, de cette franchise de l'explication et les photographies sont pleines de soleil en fin d'après-midi, de ce orange lumineux qui confine à la grâce. J'adore ce livre, c'est pour moi l'un des plus essentiels livres d'architecture, le plus juste, le plus important. Et la survie que chante Friedman est là, toute entière, dans la joie de faire ensemble, dans l'admiration des grands-frères qui savent utiliser un outil, dans l'imperfection fruste, dans le temps qui passera sur ces fragiles cabanes et dont l'enfant sait et saisit bien à la fois l'inachèvement et l'éphémère. Le brutalisme, le vrai, est tout entier dans ce livre.
Merci, merci Annie et Michel Politzer.
Alors je prêterai volontiers le premier volume, celui de Friedman, mais tout comme Raymond Roussel refusant de prêter ses volumes de Jules Verne, ne me demandez jamais de vous prêter Cabane des champs. Il est à moi, il est à moi, comme disent les enfants, petits tyrans de leur trésor et qui l'oublient soudainement au matin d'une fin d'adolescence.
Les photographies ne sont pas terribles car je ne voulais pas casser la reliure de mes ouvrages. L'article n'a vocation qu'à vous donner envie de vous les procurer (et éventuellement de les lire). Merci.
L'architecture de survie où s'invente aujourd'hui le monde de demain
Yona Friedman, Casterman
1978
Cabanes des champs
Annie et Michel Politzer
Kinkajou/Gallimard
1974
50 centimes sur un vide-grenier...
A lire : JUSTUS DAHINDEN, STRUCTURES URBAINE DE DEMAIN (EDITION CHENE DE 1972) 220 Pages...en France BIRO ET FERNIER
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