Ils sont le lieu étrange d'une impermanence, d'un désordre apparent dans lequel seuls, ceux qui y œuvrent, en connaissent le sens, lieu aussi des extravagances techniques, des forces de la pensée, l'ingénierie et des forces physiques, les corps des travailleurs.
L'un avec l'autre.
J'ai toujours aimé le travail de Sylvain Bonniol. Je l'ai toujours défendu et surtout, surtout, je l'ai toujours jalousé.
Peu de photographes m'impressionnent comme lui, car, voyez-vous, (vous voyez d'ailleurs ?) je l'ai vu au travail. J'ai posé pour lui comme ont posé les carènes de tôles soudées du chantier naval de Saint-Nazaire.
Sylvain Bonniol n'est pas de ceux qui viennent en safari, vite, voulant laisser croire que surgissent là les objets, comme sous la battue de rabatteurs. Il fait d'abord corps avec les lieux et c'est bien ce que démontre son dernier et superbe ouvrage, rare dans la profusion des éditions de photographies contemporaines, consommant à l'envi du jeune photographe à ciel blanchi sur Dibond.
J'ose un parallèle et une référence, j'en ose deux : la solidité de l'altérité d'un Sanders, la modestie puissante d'un Kollar. ( la France travaille)
Car, voyez-vous, (vous voyez ?) il prend son temps, compose, décide, revient, attend même sagement que sa présence puisse déclencher la complexité d'une rencontre avec, non seulement la photogénie évidente des lieux du chantier mais surtout avec ceux qui y évoluent, sidérés qu'un regard extérieur puisse établir un ordre, puisse comprendre leur monde. Sylvain Bonniol n'est pas naïf à sa commande, il sait qu'il doit jouer avec, être en quelque sorte lucide à celle-ci. Il le fait consciemment, j'allais dire consciencieusement, non pas pour courber l'échine sous haut patronat industriel mais simplement parce qu'il veut aussi révéler cet angle de la communication d'entreprise engluée dans des enjeux d'images, débordant ainsi les seules questions du spectaculaire. C'est là, sur ce point précis que Sylvain Bonniol se détache de ce genre, le tordant, le brisant, dans d'infimes détails, dans les compositions puissantes, dans des corps d'ouvriers et de techniciens posant et surtout dirigés. Il faudrait être bien naïf pour confondre cet ouvrage avec un livre promotionnel d'entreprise.
Sylvain Bonniol, s'il ne renie rien de sa commande, (instrument de sa venue), la déborde et surtout la reconstruit comme un moment à lui, solide, fidèle et surtout cadré. Il fait son œuvre, tout comme le personnel des chantiers. Partout, dans chaque cliché, chaque angle, Sylvain Bonniol tout en donnant à voir, replace d'abord son idée de ce que doit être un photographe contemporain, n'ayant ni peur de la documentation ni du style. À l'histoire épuisée de la Nouvelle Objectivité, il oppose une forme sereine et un retour à la sensibilité qui doit d'abord laisser la chance de voir.
Voir.
Voir est le verbe qui lui va le mieux.
Car aujourd'hui, si l'académisme photographique se nourrit sans fin d'une injonction à une pseudo-absence du photographe face au sujet, Sylvain Bonniol lui répond par une altérité aussi bien construite sur les reflets des objets du monde que sur ceux qui les produisent. Il est debout, il est là, avec eux.
Avec eux.
Nous, ici, sommes avec lui.
J'ai même surpris son ombre debout sur un cliché.
Et ce n'est pas pour rien que son livre porte le titre de Visages d'un chantier naval. C'est ce visage qu'il veut comprendre.
Alors, je me permets de vous conseiller vivement cet ouvrage de photographie contemporaine qui rompt, et c'est heureux, avec l'objectivité fatiguée des typologues du dimanche.
Pagination, impression, textes, projet éditorial, tout est parfaitement tenu par le photographe, il s'agit donc d'un immense document mais aussi, et surtout d'un vrai livre d'artiste.
Avec des gens, oui, avec des gens dedans.
Et les bleus, partout, les bleus.
Visages d'un chantier naval, Saint Nazaire
Sylvain Bonniol
édition de la Martinière
isbn-978-2-7324-7824-1
32 €
Merci d'acheter votre exemplaire chez un libraire indépendant.
Pour voir ou revoir le travail de Sylvain Bonniol :
http://bonniol-photo.com/
Acheté en juin 2018...j'adore en fin d'ouvrage l'hommage de Sylvain Bonniol aux 3137 salariés présents sur le site entre mai 2015 et juillet 2017, les citant tous... je le feuillète souvent... je suis admiratif du travail... un document historique...
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