samedi 14 novembre 2015
Rouen à la hauteur du Havre
Jean-Michel avait bien mis une vingtaine de minutes avant d'avoir accès à ce point de vue.
Il avait obtenu l'autorisation de la Société Lanfry grâce à l'intermédiaire de René Fernez pour cette ascension du clocher de la Cathédrale de Rouen qui lui permettait surtout de regarder la Tour des Archives pour laquelle il avait donné un sérieux coup de main pour la conception même si, comme Michel Ragon, il pensait que cela était curieux d'opter pour une tour comme choix de conservation des archives. Mais elle était belle cette tour, plantée un peu seule dans cette ville si martyrisée pendant la dernière guerre. Elle affichait une modernité implacable face à la Cathédrale dont l'hétérogénéité des époques lui donnait pourtant une singularité qui signait le profil de la ville de Rouen, fière de ce clocher métallique du 19ème siècle, précurseur lui aussi d'une modernité de l'architecture du métal.
La lumière douce et un rien brumeuse faisait disparaître la rive gauche de Rouen au loin. Les gargouilles semblaient vouloir mordre les immeubles de la Reconstruction et Jean-Michel Lestrade regardait avec attention cette ville qu'il avait l'habitude de traverser pour se rendre au Havre depuis Paris....................................................
........................Dès qu'il avait entendu la nouvelle du décès d'Auguste Perret, Jean-Michel se décida à faire un aller-et-retour au Havre pour voir l'avancée du chantier de cette ville. Il trouva que c'était là la seule forme d'hommage possible, visiter le dernier chantier du maître français du béton. La route fut un peu longue et la Traction donnait quelques signes de faiblesse. En arrivant à Rouen, il fit une halte et constata là aussi l'avancée de la Reconstruction de la ville. Il ne savait pas à ce moment-là qu'il aurait bientôt à participer à un énorme chantier dans la ville aux cent clochers. La traction ayant refroidi, il repris la route.
Il aimait ainsi, seul, tracer son chemin vers ses objectifs architecturaux. Jocelyne ne lui demandait jamais où il allait mais s'inquiétait toujours au retour d'où et quoi il avait pu manger le midi. Derrière le pare-brise, Jean-Michel regardait le paysage de ce bord de Seine défiler dans les courbes du fleuve. Tout y était sinueux. Il trouva soudain, dans une lucidité éclairante qu'il avait de la chance. Il sentait que l'automobile et son énergie étaientt aussi faites de sa vivacité à lui, de son envie de fonder quelque chose, de participer à cet élan de l'époque, d'oublier les ruines. Sur le bord de la route, il repéra un homme chemise ouverte, un mouchoir noué sur la tête comme un chapeau qui faisait des signes à proximité d'une 4cv fumante. Jean-Michel freina à ses côtés et l'homme ouvrit la portière :
- Oh merci ! Pouvez-vous m'aider ? Je vais au Havre ? Je suis en panne...
- Oui, bien sûr mais peut-être n'est-ce pas trop grave ? Avez-vous vérifié votre niveau d'huile et d'eau ?
- Ba, euh... enfin j'y connais rien... Je suis pas doué pour la mécanique...
- Je regarde, voulez-vous ?
- Oh oui ! merci, je m'appelle René, René Fernez.
- Eh bien bonjour René, moi c'est Jean-Michel. Alors, voyons...
Le capot ouvert, Jean-Michel vérifia quelques niveaux. Bien vite il repéra le problème. Une fuite au radiateur.
- Rien de grave. Je vais vous dépanner. On va attendre un peu que le moteur refroidisse et je vais remettre de l'eau. Vous ferez une pose régulièrement pour en remettre. Je vous laisserai mon bidon. Vous pourrez sans trop de soucis aller jusqu'à un garage pour faire réparer cela. Je vais vous suivre.
- Vraiment ? je suis confus, c'est gentil. Vous êtes sûr que cela ne vous dérange pas ?
- Non, on est presque au Havre maintenant. Je vais visiter le chantier.
- Mais je travaille sur ce chantier, j'ai rendez-vous ce matin avec Audigier pour...
- Vous connaissez Audigier ?
- Oui... je m'occupe entre autres de la gestion des matériaux et ce matin je devais voir avec lui quelques détails pour l'église...
- ...Saint Joseph ?
- Oui... mais... enfin... vous avez l'air de bien connaître tout cela vous êtes dans le métier ?
- oui, un peu... je suis ingénieur en structures, je travaille aussi parfois sur de tels chantiers et j'ai beaucoup d'admiration pour Perret alors quand j'ai appris la nouvelle, je suis venu.
- Rappelez-moi votre nom ?
- Lestrade, Jean-Michel Lestrade.
- Royan vers 51...
- Oui presque... 53
- 53 ! J'étais jeune, je vous ai rencontré sur le chantier du front de Mer, vous êtes l'un des types qui dormait dans le chantier, cela faisait rire tout le monde !
- Non ? Mais c'est tout de même incroyable ! Je vous rassure, aujourd'hui je dors dans des hôtels !
- Ah ! Je m'en doute, c'est une joie de vous revoir. J'habite au Havre, si vous voulez venir à la maison ce soir cela serait un vrai plaisir. Je peux même vous faire une visite du chantier. Vous voulez ?
- Oui mais remettons d'abord de l'eau dans ce radiateur et ce chiffon bouchera un peu la fuite. Remettez en route !
La 4cv démarra sans souci. Les deux hommes regagnèrent chacun leur véhicule, Jean-Michel se mit juste derrière et suivit René Fernez qui roula doucement. Il ne dut faire que deux petits arrêts avant de garer son véhicule juste devant le chantier de l'église Saint-Joseph.
À peine sorti de la petite auto, un ouvrier vint à sa rencontre :
- Ba alors Monsieur Fernez on dirait bien que vous avez une 4cv à vapeur !
- Oui, Arturo, vous avez raison. J'ai une fuite au radiateur et sans ce monsieur je ne serais jamais arrivé !
- On va s'en occuper Monsieur Fernez, les gars vont la remorquer jusqu'aux entrepôts. là-bas, Raymond il vous fera la réparation. Soyez tranquille.
- Merci Arturo. Peut-on faire un tour sur le chantier ? Monsieur Lestrade voudrait voir ça de près.
- Euh sans doute mais il va se salir le monsieur.
- N'ayez crainte je connais ça par cœur, répondit immédiatement Jean-Michel.
Les trois hommes regardèrent la 4cv partir remorquée par une Frégate et ils se dirigèrent vers le chantier. Jean-Michel fut emmené partout par René. Ils mangèrent ensemble dans l'un des premiers appartements livrés. René raconta le bombardement, la peur, la ruine et l'espoir. Jean-Michel appela Jocelyne. Il ne repartirait que le lendemain pour Paris.
Saint-Joseph montait vers le ciel. Sa base solide attendait sa tour. Perret ne la verrait pas. Depuis elle dit la fierté d'une ville et d'une génération.
Par ordre d'apparition :
- Rouen, vue sur la nouvelle cité administrative, la tour des archives. Éditions la Cigogne.
- Le Havre, vue panoramique vers le Boulevard François 1er. Éditions Galf 1956.
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