Je veux dire par là que, au-delà du raisonnable, dans une hystérie de cheveux arrachés à la prononciation de son nom, telle une groupie incontrôlable dormant sur le palier de l'architecte, je ne juge plus, j'aime...
Ne me demandez pas de relativiser son importance, ne me contrariez pas par des exemples de mauvaises réalisations, ne me demandez pas de relativiser son importance car on ne demande pas à Sandrine d'écouter le dernier album de Claude François en interrogeant les lignes mélodiques et rythmiques du troisième morceau sur la face B. Non.
Sandrine finalement n'aime plus tant les chansons que le chanteur et même elle aime surtout se voir amoureuse.
Alors pour être plus juste, je dirai que chaque fois que j'ai eu la chance de voir une réalisation de Jean Nouvel je fus troublé par cette architecture. Et c'est déjà bien. Il faut bien avoir une forme inconditionnelle d'admiration pour construire des conversations échauffées de fin de soirée, compter les points comme, dans mes débats de jeunesse j'étais Renault comme certains étaient Citroën, j'étais Choco BN comme d'autre étaient Prince de Lu.
Alors je vous propose aujourd'hui des cartes postales du KKL de Lucerne (Luzern). On voit peu finalement d'œuvres aussi contemporaines sur ce blog et cette fois c'est Claude Lothier qui régale. Merci Claude.
Je ne connais cette œuvre que par des images et des publications mais vous verrez qu'en toute mauvaise fois, je vais faire comme si je l'avais visitée, aimée. C'est comme ça, je suis fan.
On notera tout de suite que l'ensemble de ces cartes postales sont d'abord des photographies de Philippe Ruault et qu'elles sont donc d'abord son regard. Il faut là aussi ne pas oublier qu'il y eut sans doute un accord entre trois points : le commanditaire, le photographe, l'architecte. Il faut donc être clair, il s'agit d'images construites en un point d'équilibre entre ces trois angles. L'autre élément est que je ne suis pas certain d'avoir la série complète des cartes postales donc il sera difficile d'estimer le regard de ce photographe de façon objective.
On sait aussi que ce bâtiment a fait sa fortune critique sur son énorme visière sombre et que, trop souvent, on en a réduit le geste architectural à cette particularité. Mais c'est vrai. Je crois que le bloc sombre et menaçant du KKL tient bien essentiellement à cette image un peu austère produisant dans le champêtre des rives d'un lac la nécessaire part d'ombre d'un romantisme noir.
Et voilà que Philippe Ruault perçoit très bien cela.
Dans cette première carte postale, il se place dans un contre-jour justement autorisé par la visière qui cache le soleil et permet de faire dorer le noir et verdir les verres. L'image produit même la sensation que c'est bien la matière même qui éclaire et non l'astre derrière. On pourrait y voir une analogie avec l'architecture et son... architecte.
Regardez bien comme le photographe cale dans l'angle en haut à droite la diagonale qui fera descendre la ligne de la visière quasiment jusqu'au milieu de l'image. Le ciel c'est l'architecture de Monsieur Nouvel, c'est bien une nuit brillante en plein jour qui fait symétrie avec son sol.
On retrouve cette idée ici :
Mais Philippe Ruault accuse ici le paysage, le laisse venir sans doute aussi pour mieux bâtir son image contre la géométrie implacable et obscure de la construction. Et comme le noir n'aime pas le jour, tout devient bleu. Le point rouge d'un sac à dos pose tout de même un équilibre et surtout les diagonales du bassin sont contrariées par la droite parfaitement verticale tombant en haut à gauche de l'image. Découpes là aussi solides du monde par l'architecture de Monsieur Nouvel. On aimera aussi le très beau dessin des ouvertures dans la construction. Monsieur Nouvel dessine au cutter.
Il faut bien que la visière serve à voir le monde :
Dans un espace pincé laissant presque rien de la ville entrer dans le fond de l'œil, deux triangles s'opposent. L'un en haut reflète le monde dans un flou difficile, peu enclin à faire image. On verra que cette figure du reflet est la réalité plastique et symbolique de cette visière. Mais ici, le photographe tente tout de même de voir depuis le lieu et non plus de voir le lieu lui-même. Qui vient là ? Comment la promenade architecturale a-t-elle amené notre photographe ici ? Est-ce un espace ouvert au public ? S'amuse-t-il à nous offrir un point de vue exceptionnel à son rôle ? Le garde-corps nous dit que nous sommes à notre place et cet autre triangle dans l'image nous dit également que nous sommes au spectacle. Le contraste entre cette architecture et la ville au fond de l'image est bien ce qui est visé. Le photographe suit là parfaitement l'architecte.
Si vous aimez les reflets dans le pétrole :
Dans cette carte postale, cette photographie, Philippe Ruault pourrait bien avoir résumé l'architecture de Jean Nouvel au KKL. Une abstraction sombre découpant le monde pour nous le servir flou et impénétrable comme un lac sans fond. Car le reflet est bien ce que l'architecte a travaillé ici. Des chatoiements admirés et touristiques d'un lac, Jean Nouvel nous donne une vision tentant à la fois d'enregistrer sa couleur de surface mais aussi de nous en rappeler sa profondeur énigmatique. La nuit de l'eau.
Nous empêchant de voir le ciel, nous obligeant à regarder celui fabriqué par l'architecte qui fait là tout de même un geste incroyable en pensant qu'il peut simplement le remplacer, le photographe saisit parfaitement le point culminant de ce paysage réinventé. Jean Nouvel retourne le lac. Il retourne notre perception. En quelque sorte il retourne l'image. Pour ce faire il doit fermer l'espace, le pincer entre deux plages abstraites comme un Soulages regardant sa peinture à l'horizontale sur une table. Je le dis : c'est magnifique.
L'horizon ainsi matérialisé, construit, comme si on pouvait ici avec les mains en palper enfin la matérialité pourtant disparaîtra dès que nous avancerons. Et le paysage, libéré du téléobjectif, s'éloignera d'autant. C'est bien un tableau perspectif qui est découvert là. Même si l'horizon de la limite du KKL n'est pas l'horizon du tableau, le photographe et l'architecte sont bien ensemble (et j'aime à le penser) pour une fois, non pas derrière l'image mais dans l'architecture.
Pas de doute, je suis fan.
On notera que toutes les cartes comportent le nom du photographe et de l'architecte mais qu'aucune date n'est inscrite.
Pour plus d'informations sur le KKL allez ici.
Si je m'en souviens bien, la terrasse est ouverte au public, j'ai le souvenir précis d'ascenseurs à reflets métalliques, celui plus vague d'une possible exposition visitée là-haut.
RépondreSupprimerMais un autre souvenir de terrasse promontoire sous un vaste plafond similaire : souviens-toi de l'extension par le même Jean Nouvel du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia à Madrid !