lundi 26 août 2019

Vertigo World Trade Center

Nous avions soulevé un mystère joyeux avec cette incroyable carte postale du World Trade Center de New York montrant les parties les plus charnues d'un ouvrier travaillant à son sommet.
Cette image d'un humour rabelaisien new-yorkais ne pouvait convenir à l'hommage possible aux victimes des attentats du World Trade Center ou à sa sensationnelle architecture que nous devions à Minoru Yamasaki.





Ainsi, lorsque j'ai trouvé ces cartes postales, j'ai compris qu'il était maintenant possible de relier les deux moments. En effet, ces nouvelles cartes postales révèlent en partie la fameuse séquence de prises de vue faite par Peter B. Kaplan lors de la pose de l'antenne sur l'une des deux tours. On comprend mieux cette action et comment le surgissement de la paire de fesses de l'un des ouvriers était en fait, l'aboutissement d'une drôle et époustouflante aventure !
Vertige !
Quelles images tout de même ! Quelle chance cela a dû être de monter ainsi là-haut ! Mais comment Peter B. Kaplan s'y est-il retrouvé ? Comment fut-il invité ? Par quelle magie ?
J'avoue que je n'aurais pas pu le suivre...
Il est difficile de nier depuis ces photographies l'extraordinaire beauté implacable de ces deux tours, de leur puissance, de leur autorité sublime confinant à la poésie parfaite. On n'a pas réussi depuis à produire de plus beaux monolithes dans l'histoire de l'architecture. Même Libeskind...
Aujourd'hui les grandes tours ressemblent à des obus suppositoires, des machins baroques, des flacons de parfum. On est très très loin de la simplicité tonitruante de ce qui fut la plus belle paire d'immeubles de tous les temps.

Malevitch pour de vrai.

Le dos de ces cartes postales est bien différent de celle montrant l'ouvrier cul à l'air... puisque ces cartes postales furent éditées pour venir en aide aux enfants victimes des attentats du 11 septembre. Je ne pense pas que cette première carte postale et cette photographie aient ainsi été rééditées...
Difficile de montrer son cul pour obtenir des dons pour des enfants.
On remarque tout de même l'incroyable qualité photographique de Peter B. Kaplan, on note aussi que certains clichés sont datés de 1973 et d'autres de 1979.
Donc le photographe est venu plusieurs fois, il a suivi le chantier ce qui peut en partie expliquer une certaine familiarité avec les ouvriers. Malheureusement ni le site du photographe, ni celui de son éditeur de cartes postales ne nous permettent de mieux comprendre cette séance. On reste sur sa faim. Dommage. On ne sait pas très bien non plus comment ces cartes postales généreuses furent distribuées, ni même quand, et encore moins si elles le sont encore.
C'est tout de même intéressant dans l'histoire de la carte postale cet usage d'une séquence photographique ancienne qui, par les événements, vient éclairer à rebours une prise de vue très spécifique qui soudain prend une place particulière dans le déroulement à la fois de l'événement de la pose de l'antenne et dans l'événement de la disparition de cette même architecture. Comme si se souvenir et être solidaire permettait bien évidemment de regarder l'objet disparu autrement.

La destruction de ses deux tours jumelles ne fut pas un événement patrimonial pour l'Histoire de L'Architecture. Non. Ce fut simplement une tragédie ignoble. Et pleurnicher sur la beauté perdue sera toujours indécent. Et s'il est possible (et nécessaire) de se réjouir des images encore joyeuses de sa construction et des facéties de ses constructeurs et ouvriers, il sera maintenant impossible de faire comme si nous pouvions occulter les tombeaux à venir.
Faire de la beauté empreinte de sa nostalgie sur ce drame sera toujours obscène.

Alors quoi penser de ça :












Cet album est imprimé le 11 septembre 2013 (oui) soit juste deux ans après les attentats. L'éditeur nous le signale comme si inscrire dans la réalité du temps la publication permettrait une forme de légitimité du pseudo monument éditorial.

























Cet album nous raconte une histoire simple de disparition dans les attentats du 11 septembre. Le dessin, le choix des couleurs, tout cela adouci d'une tonalité pastel pourrait passer pour une simplification symboliste, une sorte de pudeur dévolue au réel. Mais bien au contraire, cela accentue la gêne, comme si éteindre en quelque sorte la brutalité de l'événement dans des couleurs et des simplifications formelles devait en autoriser un regard, allez soyons gentil, obscène.
Faire tendre pour un tel événement c'est dégueulasse.
L'opportunisme sentimental, celui qui s'excuse d'y toucher en mettant tout de même sur le marché sa candeur affectée est ce qu'il y a de pire pour "rendre" hommage.
Et puis le rire grave et profond d'un Topor nous vient sur les lèvres lorsque les oiseaux blancs (cendres et papiers mêlés) s'envolent dans le ciel... Franchement... L'analogie de l'envol poétique ici...
Rien sur les cendres des corps pulvérisés qui n'existent plus, rien sur la peur, rien que le sentiment.























Je ne sais pas à qui s'adresse ce livre finalement assez rare dans la production éditoriale. Faire un livre sur le terrorisme pour les enfants si ce n'est pas interdit demande tout de même de ne pas avoir peur et de ranger sa pudeur attendrie. Les enfants ont besoin de réel clairement exprimé, pas d'ellipse affectée et impressionniste.
On notera que l'album ne présente aucune représentation humaine, que l'architecture est réduite à des plans de couleurs superposées, que la simplification formelle complète (certainement due au travail sur la palette graphique) devait passer là aussi pour une forme de pudeur symbolisée et allégée du pathos du drame. Je crois qu'il y a des événements, des faits, des drames qui ne méritent (oui c'est le bon verbe) qui ne méritent pas de représentations.
Les images du réel et surtout la réalité doivent suffire à notre peine, notre douleur et surtout notre combat.
Cet album n'est donc ni utile, ni beau, ni même (et c'est le pire) engagé. Il est plein d'espérance bleuette, de sentimentalisme, de symbolique outrée, en un mot de niaiserie.
L'enfer pavé de bonnes intentions, l'enfer le pire, celui construit sur l'orgueil du créateur qui se croit, lui, avoir le droit à une parole distanciée.
Être satisfait le matin d'avoir bien rendu les flammes sur le dessin des tours...
Cet album est dans ma bibliothèque. Je le garde jalousement.
Il est une preuve que rien ne les arrête pour briller.
Il paraît que l'auteur a aussi fait un album sur le Tsunami. Un spécialiste des drames humains de masse donc.
Alors, si je devais choisir une seule image pour rendre hommage aux victimes du World Trade Center et expliquer son drame à un enfant, je choisirais celle de Peter B. Kaplan où son ami ouvrier lui montre son cul. Parce qu'elle ferait rire l'enfant à qui je la montrerais, parce qu'elle serait le moyen idéal d'évoquer alors avec lui la disparition de cet espace magnifique et des gens vivants et qu'elle répond parfaitement aux terroristes :
un cul dans leur face,
le sourire sur les nôtres.

Les oiseaux blancs de Manhattan
Xavier Armange
éditions rêves bleus
15 euros








2 commentaires:

  1. Bonjour, Connaissez-vous la version de Enjoy the silence de Depeche mode sur le toit d'une des tours ?
    C'est le morceau idéal pour accompagner la lecture de cet article !
    sur Youtube : Depeche Mode - Enjoy the Silence (The Top Of World Trade Center)

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