vendredi 2 août 2019

AD ? Absolument Détestable ?

Pour patienter dans la salle d'attente de l'hôpital, j'achète à sa boutique un numéro de AD, Architectural Digest de juillet et août 2019.
Je me dis que pendant ce petit moment, me croire autorisé à vivre 30 minutes avec la grande bourgeoisie internationale me fera du bien et m'éloignera du mobilier hospitalier. J'ai des rêves de bourgeois quand j'ai du temps à perdre.
Je me croyais autorisé à quelques minutes de tranquillité béate.
Mais voilà...


Page 32, je tombe en bas de page sur un minuscule article nous indiquant que le Domaine La Coste propose de vivre une expérience incroyable en séjournant dans... un chalet pour sinistrés dessiné par Jean Prouvé. Bien entendu, ce qui compte c'est la deuxième partie, comme si le nom de Jean Prouvé suffisait à justifier tout et n'importe quoi, le cynisme mais surtout bien entendu l'absence totale de morale ou d''éthique sur la place d'un objet historique.
Vous me direz que pour bien comprendre le quincailler de génie (dixit Charlotte Perriand) rien de tel en effet que de vivre l'expérience de l'architecture de Jean Prouvé et de pouvoir ainsi en découvrir toutes les qualités constructives. Mais lesquelles au fait ? Et surtout comment ceux qui vont venir dans le domaine La Coste y seront sensibilisés ? On ne sait pas.
Par la température de leur Carte Gold ?
Mais plus amusant encore que cette expérience de vivre comme un sinistré heureux d'avoir un toit provisoire sur la tête, c'est que la nuit ne vous coûtera que 2500 euros. Il n'y a pas d'erreur. Deux... Mille... Cinq... Cents... Euros la nuit dans une cabane de bois avec une armature en métal dont l'intérêt architectural tient en deux lignes. J'espère que l'apôtre du Design pour tous, celui de l'Abbé Pierre, celui de la collectivité heureuse est bien mort car je crains que la lecture d'une pareille imbécilité ne pourrait que le faire mourir une seconde fois.
Les riches ça ose tout c'est même à ça qu'on les reconnaît.
Mais dans le même somptueux numéro de cette revue iconoclaste et qui affirme le chamboulement des valeurs politiques à toutes ses pages, voilà que notre grand créateur Rick Owens, (celui de la bite sautillant à l'extérieur de ses vêtements) nous fait visiter son appartement au Lido, à Venise.
Tout y est magnifiquement choisi, rien à dire sur les goût du créateur. On a même la chance de le voir poser et exhiber son corps maigre et sec, le bermuda à la limite de la ceinture d'Apollon, laissant augurer le désir de le faire tomber mais, en même temps, ayant cette retenue d'un type qui pose avec la politesse du sans gêne. Merci Rick, tu nous la montreras sur You Porn.

























Mais voilà ce qu'il déclare dans l'article :
" Mon modèle, c'était le cabanon de Le Corbusier mais en version moderniste (sic !!) Fonctionnel et efficace! (sic !!). Je voulais quelque chose d'austère, de presque froid, qui associe le raffinement de Jean-Michel Frank à la sévérité de l'architecture mussolinienne."
Que dire devant autant de modestie habile mêlée à une provocation bourgeoise ? Car le monsieur doit se dire qu'il va attaquer le grand architecte en lui reprochant son manque de fonctionnalité (mot évidemment parfait) et qu'il va épater le bourgeois en l'associant à l'amour qu'il porte à une architecture sulfureuse, celle de Mussolini. Comme c'est habile...
En fait, l'architecture mussolinienne agit ici comme la petite bite qui sort du vêtement, quelque chose de peu glorieux et de partagé par un grand nombre mais que l'on n'attend pas à cet endroit, ni dans ce moment. On voit comment il fait fonctionner sa machine à épater le bourgeois, l'outrecuidance épuisée de ceux qui croient encore que l'Avant-Garde c'est l'usurpation de la culture des autres enveloppée dans le linceul de l'irrévérence. Des Dali à la petite semaine.
Alors ?
"La mort c'est le problème auquel doivent se confronter les artistes." C'est la dernière phrase prononcée par ce génie dans cet article.
On lui souhaite d'avoir encore et encore un confrontation rapide ?
Remercions la revue AD pour cette belle prise d'espace, prouvant que le chic international est maintenant devenu vulgaire, qu'il n'a même plus la force d'un modèle et que ce chic de classe, celui qui, pour une part, inventait nos rêves est maintenant l'apanage de crétins boursouflés de ce qu'ils croient être la Culture. Culture qui devient pour eux ce mur infranchissable entre ceux qui ont vraiment vécu et ceux qui leur volent leur vie. Jean Prouvé et Corbu méritent mieux que ces porteurs d'images creuses.
Avant on enviait leur Monde, maintenant on a juste envie de le vandaliser.

Revenons à Le Corbusier :


Peu de cartes postales du couvent de l'Abresle nous montrent aussi frontalement l'implantation de l'architecture de Le Corbusier sur son terrain en pente.
On remercie le photographe Mory pour ce désir d'être parfaitement en face de la façade sud, laissant toutes les délicatesses de la machine exhiber ses fonctions, sa mécanique.
L'horizontalité du couvent va donc chercher la pente et le photographe cale son cadre au bord du bâti, sa distance avec celui-ci étant déterminée par cette limite.
La densité de l'image est à son comble, impossible en quelque sorte d'échapper aux formes, aux lignes, à la rectitude poétique de cette façade à la fois tendue et mouvante.
On note que le photographe choisit une lumière égale, sans dureté, préférant une lisibilité apaisée à une trop grande plasticité des contrastes. Le soleil est en haut, tout en haut.
La carte postale sans éditeur fut éditée en 1961.


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