Finalement qu'est-ce qui me pousse à m'installer dans l'exploration de photographies dans lesquelles je ne suis pas ? Pourquoi cette joie étrange de vouloir y entrer, en reconnaitre les détails, d'y projeter mon imaginaire dans des signes imprimés sur un papier ? Qu'est-ce que cela remue en moi de si important, de si urgent, nécessaire et aussi un peu vain ?
Cela doit remplacer quelque chose. Une réalité peu magique ?
Imiter une vraie présence sur place, dans le temps précis du moment, dans une déambulation réelle...?
Croyez moi ou pas mais j'entends distinctement le bruit des voitures, les pneus font crisser le gravier qui reste sur le Boulevard Gambetta qui vient juste de recevoir son asphalte. Je sens sur ma tête le soleil un peu direct, un peu trop franc et pourtant si recherché pour la langueur qu'il impose. Difficile de ne pas s'interroger alors sur le temps qu'il faudra aux arbres maigrelets tout juste plantés pour offrir une ombre nécessaire au plaisir de la promenade, du lèche-vitrine. En regardant mieux, je m'aperçois que les vêtements ne sont pas ceux de l'été.
Les commerces ne sont pas tous encore ouverts, les galeries sont encore en chantier. Comme il devait être passionnant et troublant de circuler ainsi dans une ville toute neuve, pleine de l'espoir d'effacer le drame récent de sa disparition. La netteté des lignes, la blancheur des matériaux, la franchise d'un plan d'urbanisme devaient donner le sentiment d'un exotisme assez étonnant. On participait à quelque chose, comme un enfant lorsqu'il sort le jouet tout neuf de sa boite. Savoir que l'on va vivre avec son usure à venir, la fabriquer même.
Bien entendu je crois fermement derrière cette image que la tranquillité que je ressens est réel. Aucun drame ne passe sur cette figuration d'un certain bonheur retrouvé. C'est limpide.
Presque vide, comme pour Urbino et ses villes idéales. Le papier-journal sur les vitrines ou le blanc de Meudon peint à la va-vite seront bientôt retirés pour laisser place, enfin, à l'apothéose des Trente Glorieuses.
J'admire que le photographe des éditions Berjaud (où sont vos archives ?) ait pu trouver un point haut pour photographier cette rue, ce Boulevard Gambetta. J'aime qu'il y ait vu un potentiel marchand, un sens à la ville, un désir d'en partager ainsi sa modernité. Savait-il qu'il produisait aussi une archive ou, mieux encore, un paysage pour mon coeur ?
Ce point de vue est rare. Il fallait un certain culot pour penser ainsi, qu'au bord de la mer, les vacanciers ou habitants seraient heureux de trouver une représentation de la ville. Que cela méritait d'être communiqué. Une rue, des commerces, un certain ordre du Monde offrant à voir la résurrection de Royan. Un élan.
Et la dame qui devant le trottoir encore tout défoncé fait le tour pour ne pas abimer ses escarpins doit tout de même se dire que c'est bien pratique de trouver en ville un nouveau marchand de chaussures, un opticien, une boutique de mode parisienne. Il parait que l'on y vend aussi d'extraordinaires chapeaux de paille pour la belle saison. Il faudra y aller avec Josette, demain, en remontant de la plage avant d'aller au marché.
Ma carte est un peu abimée, certes, mais je ne pouvais la laisser dans la boite à chaussures. Je me moque de cet état, presque cela me ravit. Le ciel est ainsi habité d'un orage. Royan ? Royan ?...j'arrive...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire