Dans un siècle ou deux, on regardera ce genre de cartes postales en tentant d'en comprendre le surgissement dans le quotidien des personnes. Quelques universitaires zélés formeront des commentaires sur le dégoût, sur l'erreur urbaine, sur l'architecture de béton polluante, sur la défaite des utopies.
Certains d'entre eux, peut-être, tenteront de relativiser ce constat et peut-être même que cet archétype du surgissement des Grands Ensembles sera aimé comme une chose étrange, une curiosité. Peut-être qu'un effort d'analyse aura été produit pour que, finalement, on puisse le regretter, le sauvegarder, tuant ainsi la nostalgie appliquée trop rapidement sur des objets trop proches.
L'Histoire sera passée et qui sait ce qui sera passé avec elle.
Il y aura alors des exemples, des étonnements que tel ou tel grand ensemble ait pu survivre aux politiques de réaménagement du territoire, aux politiques sécuritaires et écologistes qui auront agi de concert pour crier l'inadaptation à la vie contemporaine de ce genre architectural. Un genre architectural qui aura pourtant été un modèle, un esprit, une tentative et surtout, surtout pour une grande part une vraie réponse.
De quoi sera fait dans deux cents ans le logement social ? De quoi sera faite l'architecture collective, le mal logement ? Et sur quel modèle ancien les nouveaux architectes s'appuieront ?
Continura-t-on à nommer les terroristes des activistes du climat ?
Seront-ils des vieux sages qu'une jeunesse amourachée prendra pour des gourous et des anciens combattants ? Qui posera des fleurs naturelles sur les pieds de la statue de bronze de Laurent Fabius et de sa copine Greta en lieu et place d'une statue de Napoléon ?
Le souci avec les archétypes, avec les modèles c'est qu'ils sont communs. C'est pourtant bien ce commun qui fonde l'imprégnation dans l'histoire. Le Patrimoine ne devrait pas souligner l'exception mais bien aussi le commun partagé par une époque comme un modèle bon ou non d'ailleurs. Le Patrimoine est aussi fait des multitudes des échecs ayant justement et étrangement survécu.
Alors, en regardant ces deux cartes postales, cet historien du Temps Prochain, ce Volodine du réel verra-t-il la tendresse de la correspondance qui s'y attache ? Verra-t-il les hésitations de l'éditeur qui nomme parfois ZUP ou Résidences ce même morceau d'urbanisme ? Verra-t-il qu'entre les deux clichés le quartier a poussé, que des immeubles sont venus rejoindre les autres et que cela raconte l'histoire du parcellaire et le contact entre des types différents d'habitat ?
Cet historien sera-t-il encore sensible à la grande beauté des châteaux d'eau, au plan orthogonal des espaces, au dégagement de ces espaces, au prospect sans ombre projetée sur les barres ? Aura-t-il lu l'excellent ouvrage de Bruno Vayssière ?
Et surtout, notre historien des Temps Futurs pourra-t-il aller sur place voir ce qui reste de cet archétype ? Sera-t-il comme dans Akira équipé d'une moto puissante ? Viendra-t-il, toute morale respectée, en vélo cargo électrique ? Peut-être que cet historien s'étonnera qu'à cette époque on puisse par deux fois prendre un avion à essence pour survoler un quartier et en faire des images sans que le bilan carbone de ce choix éditorial ne soit critiqué par personne ?
Peut-être rira-t-il de mon article avec ses copains sur les bancs d'une Fac virtuelle ou l'orthographe sera abandonnée au profit d'un esprit de liberté créative sans assignation de genre, de race mais ayant maintenu malgré tout l'assignation sociale qui permet finalement toujours aux cadors de tenir dans leurs mains la richesse d'un monde violent ?
Peut-être que finalement, ce quartier de Bihorel sera devenu totalement inaccessible, devenu une forteresse, un espace ségrégué et abandonné ou la nuit noire sans éclairage publique polluant servira les trafics les plus illégaux : cigarettes, vielles revues féminines devenues interdites, jouets genrés, viande. Comme dans Soleil Vert.
Aujourd'hui la protection des architectures du Vingtième semble vouloir s'orienter sur le Patrimoine Fun et rigolo, sur les exceptions luxueuses, sur les machins étranges et hors norme, or, justement c'est la norme qu'il faudrait aussi protéger, celle qui a fondé dans le réel des archétypes de paysages aujourd'hui menacés, reniés, accessoirisés et détruits. Vous me direz que même les incroyables exceptions le sont aussi. Comme vous avez raison.
Les deux cartes postales sont des éditions Combier. Pas de nom d'architecte ni de photographe.
J'ai parcouru un site de cartes postales...rien sur cette C.P.
RépondreSupprimerMon ordi m'a trahi et mon commentaire est allé ailleurs... Donc ZUP créée en 1960 et agrandie en 1964. A la manoeuvre Charles Gustave STOSKOP qui a beaucoup 'zupé' en Ile de France. Une thèse exisite sur cet architecte...
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