lundi 4 janvier 2021

Mais l'architecture, on entre dedans

Alors que je cherche (en vain encore) le nom du maquettiste qui réalisa les si somptueuses maquettes en bois plein de Architecture Principe, je tombe sur un petit texte de Claude Parent dans son autobiographie, petit texte qui résonne à la fois avec une carte postale reçue récemment et une discussion avec l'ami Louis Lepère sur l'évolution de son travail d'artiste-sculpteur.

Les astres et surtout mon Soleil s'accordent donc en ce début d'année.

Commençons par le commencement, c'est-à-dire par l'objet même de ce blog, une carte postale et une architecture :


Les aficionados du brutalisme à la française, les amoureux des machins biscornus de la Modernité, les chasseurs en Safari de bidules oubliés et les fabricants d'Atlas douteux de formes auront reconnu cette icône : le Château d'Eau de Valence dessiné par le sculpteur Philolaos que nous avons déjà rencontré ici sur ce blog et notamment au Mans où il œuvra avec Andrault et Parat. Je vous laisse chercher, cela vous fera des pieds musclés.

Ce travail remarquable et remarqué est d'ailleurs dans notre guide vénéré d'architecture contemporaine en France et voilà ce que nous en dit Dominique Amouroux :



On est heureux de voir que André Gomis, grand architecte est associé à cette œuvre et même qu'il en serait le commanditaire. On voit aussi comment Dominique Amouroux explique bien que, en quelque sorte, c'est la visite architecturale et le déplacement de l'œil qui permettent d'en saisir le sens comme si la photographie figeait quelque chose d'essentiel à cette construction : sa mouvance. Certes les images en noir et blanc du guide (véritable hommage à rebours à Bernd et Hilla Becher) nous laissent tout de même émus de ce que nous percevons du génie du dessin du sculpteur. D'ailleurs les auteurs du guide proposent bien deux photographies de ce Château d'Eau ce qui prouve leur désir de rendre compte de cette plasticité mouvante de l'objet. Dans le même temps cela signifie bien qu'il est difficile d'en trouver un point de vue idéal, celui qui déterminerait depuis l'image le sens du regard que l'on doit porter dessus. 

Mais. Oui mais. 

Après tout, n'est-ce pas le cas pour toute l'architecture ? N'est-ce d'ailleurs pas le signe même de ses qualités qu'un objet architectural nécessite plusieurs points de vue pour être relativement bien perçu dans son entité ? Pourquoi donc penser que, parce qu'il se voudrait sculptural avant d'être architectural, un objet nécessiterait de fait plus d'images ? Risquerait-on quelque chose à ne voir ce Château d'Eau que d'un seul point de vue ? On sait bien que l'architecture a toujours pu être perçue comme une sculpture pénétrable dont les émotions spatiales seraient déterminées par la visite des formes vides contre le cheminement des formes pleines. La fameuse promenade. Mais la tentation d'image a conduit depuis toujours les architectes à se laisser tenter par une architecture-signe, bloc, faciale, faisant d'un coup image, se résumant à une forme sculptée dont finalement la coque extérieure suffirait à dire le génie. Mais l'architecture, on entre dedans.




Que faire de ce désir et cette nécessité de la pénétration ?

Si j'en crois les images de ce Château d'Eau (que je n'ose pas encore appeler sculpture), si j'en crois seulement mon imagination (puisque je n'ai pas eu la chance de voir dans le réel cet événement architectural), je dirai que ce qui le constitue surtout comme son intérieur n'est finalement pas, bien sûr, ce que contiennent les deux formes accolées l'une à l'autre mais bien l'espace entre elles, cette fente maintenue, se frôlant, donnant presque parfois l'illusion même qu'elles se touchent. C'était aussi en quelque sorte, dans un objet bien loin formellement de cette sculpture ce qui se produisait de poétique au World Trade Center de Yamasaki, la chance que le point de vue donne finalement l'illusion superbe que les deux tours finissaient par parfois se toucher. Comme les deux mains assemblées de Rodin qu'il appela... Cathédrale



Faut-il donc se plaindre que parfois l'architecture prenne le risque d'un baroque formel plus fort que son unique fonction ? Faut-il rapprocher ce désir de fondre la fonction dans une forme de Design dont l'échelle pourrait réduire la forme à celle d'un vase ? Doit-on oublier les fonctions qui, trop terre-à-terre ne seraient pas dignes de faire des formes ? La gratuité esthétique est-elle payante dans un objet se voulant comme un signal, fabriquant pour une Z.U.P un événement culturel, un choc, une grandiloquence ? Les Becher nous ont appris à aimer la variété formelle parfois indigente des réservoirs, à s'amuser des différences, des faiblesses de certains. Mais leur inventaire ne nous fait jubiler finalement que par la multitude et l'œil alors aime ne plus s'arrêter et éprouve une autre mouvance, celle des formes toujours renouvelées et toujours finalement identiques. C'est pour cela qu'en architecture, il est ridicule de se réfugier dans la typologie. Ils nous ont appris à aimer même et surtout les Châteaux d'Eau normaux. Fallait-il qu'il soit exceptionnel pour qu'on supporte la présence de celui-ci dans le paysage de Valence ?

Alors que faire de ce va-et-vient profond et répété entre la sculpture et l'architecture ? Rien. Surtout apprendre que les formes répondent à une fonction (programme) ou à un rôle (culture) et doivent être justes c'est-à-dire aptes en effet à faire oublier justement ce qui les fonde. C'est pour cela que l'on jubile dans le même temps d'une grotte, d'un supermarché, de l'espace infini d'un horizon ou du dessous de la table à manger.

Reste que l'architecture inutilement torturée pour faire une forme est une erreur et que tout ce qui est constitué d'un vide dans le dedans d'une forme n'est pas une architecture. Dubuffet aurait pu convaincre de cela Gehry.

Voyons donc ce que nous dit Monsieur Parent :





Bien entendu que Monsieur Claude Parent utilise l'exemple du Château d'Eau pour construire son attaque dans un ouvrage contemporain de celui de Philolaos ne laisse que peu de doute sur celui à qui s'adresse cette attaque... Enfin... j'en suis quasiment certain. Il devait préférer celui de Gaston Jaubert. On s'amusera aussi de l'utilisation de la claustra qui résonne aujourd'hui avec celle de Jean Nouvel à l'Institut du Monde Arabe, comme si, bien des années après, l'élève avait voulu faire enrager le Maître ! On reparlera de Gilioli un autre jour.

Il est donc bien difficile de faire la part des choses car, avant même de savoir souvent on ressent et ce sentiment spatial, cette émotion n'a que peu à faire avec son origine de sculpture ou d'architecture. Il y a des formes justes et juste des formes pour faire un jeu de mots facile. L'architecte sculpte son espace, c'est évident. Reste à savoir quels principes il utilise pour ce faire. Et la jubilation de l'œil ne suffit sans doute pas. On sait aussi que notre culture architecturale nous permet bien aussi une jubilation plastique dans la transparence des principes constructifs. C'est là la belle invention du néo-brutalisme par Banham. Il ne faut pas s'y tromper comme le malheureux Chadwick. 

Pour finir, je vous donne les informations nécessaires : la carte postale est une édition de l'Association Philatélique de Valence dont le photographe est Jean-François Sbardella. La carte postale nomme bien (merci!) le nom de Philolaos et celui d'André Gomis comme architecte. Il s'agit donc certainement d'une carte postale éditée pour constituer des entiers philatéliques et pas d'une carte postale distribuée sur les tourniquets.

En effet, le Château d'Eau a fait l'objet de l'édition d'un timbre que voici : 



1 commentaire:

  1. l'architecture aide à définir le 'séjour des formes' au delà du vide, du creux engendré par les parois...

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