mardi 26 juin 2018

La honte sans miracle à Lourdes






































C'est l'une des raisons, Louis, pour lesquelles je ne vais que rarement voir ce que c'est devenu.
Souvent, le temps fait son ouvrage, souvent, le temps fait son outrage.
Tu vois, l'image suspend un moment, retient un état qui semble inaltérable justement parce qu'il fait image, comme si, étrangement, la photographie protégeait à jamais les lieux. Mais finalement, il suffit de quelques années, de quelques fautes, de quelques errements commerciaux sans génie pour que ce qui semblait une belle construction, solide, marquée par son temps, abstraite et bien dessinée devienne un machin, une erreur sans style, un local propre faussement moderne pour clients sans regard. Bref, comme j'aime à le dire, Louis, une honte.
L'Hôtel de Padoue, je l'ai aimé de suite quand dans ma main son image a surgi au milieu des cartes postales anodines. C'est, Louis, sa façade qui m'a plu, sa radicalité moderne traînant encore un Art Déco adouci, presque simple, timide. Peut-être d'ailleurs que cette timidité tendue de blanc lui donne toute son allure sur cette carte postale sans nom d'éditeur. La construction bien droite dans son cadre et dans son ciel parfait fait jouer la façade sans ombre de toute sa volumétrie des balcons aux pans découpés, filant sur la longueur, créant comme une seconde façade en retrait, libérant le coin de l'hôtel en une tour retenue dans la masse. Tu noteras, Louis, comment l'architecte a bien su articuler sa construction sur son îlot, comment il a su lui donner du sens, projetant le plus possible d'ouvertures par des fenêtres généreuses, l'hôtel est littéralement percé de part en part. Tu noteras aussi, Louis, comment en jouant avec des aplombs ou des corniches, l'architecte détermine bien le socle puis l'hôtel et ses chambres et enfin son dernier étage, construisant ainsi une dynamique de l'œil qui s'achève sur un PADOUE géant. Simple, beau, élégant.
J'hésite à te montrer ce que cet Hôtel de Padoue est devenu. Comment en est-on arrivé là ? Comment une telle attaque est possible et pourquoi ? Comment a-t-on pu (on ici c'est la chaîne incroyable des administrations locales, des architectes de bas-étage, des promoteurs à retour sur investissement) inventer sur une telle réussite une construction aussi vulgaire ?
Vulgarité, c'est bien de cela qu'il s'agit. Même pas un désir radical ou une force puissante qui auraient pu par son geste dire quelque chose sur l'héritage. Non, juste ce pragmatisme de l'ordre, celui du commerce, du confort des étoiles que le pauvre pèlerin confondra avec de l'architecture.
Vois-tu, Cher Louis, c'est bien notre époque.
Ce manque de regard qui cède aux investisseurs la permission du tragique. C'est à cela que tu dois t'éveiller. Tu te dois, à ton âge, de saisir ce risque, de comprendre comment lutter contre cela. Tu verras, souvent c'est triste, désespérant cette bêtise contemporaine, surtout que cette vulgarité des promoteurs, des agents patrimoniaux absents, touche aussi des bâtiments importants que l'on croit intouchables. Va voir, Louis, comment la Maison du Peuple de Clichy est attaquée par Monsieur Ricciotti, l'un de de nos plus grands architectes, l'un de nos plus puissants modèles de radicalité. Va voir comment, même lui, (pour faire tourner son agence ?), ose le compromis avec la vulgarité marchande, comment il se plie, il se couche.
Il se couche.
Tu comprendras alors qu'il faut beaucoup de chance à nos belles constructions, qu'il faut surtout beaucoup d'éducation pour que l'architecture, celle manifeste de son temps, ne soit pas seulement retenue, Cher Louis, dans les images.
C'est pour cela, Louis, que ta jeunesse (candeur mêlée d'espoir) te permet encore d'aller voir et que tu me verras maintenant toujours plus heureux de rester chez moi derrière LES images.
Amuse-toi bien à Marseille. Tu sais ce que tu dois y voir, en retenir.
Même le Mucem de Monsieur Ricciotti.
Même.

La bise depuis mon écran.

On notera que la carte postale ne nomme pas l'architecte de cet Hôtel de Padoue et que je n'ai pu le retrouver. On notera que je ne désire pas vous donner le nom du ou des architectes ayant requalifié cet hôtel.




















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