mercredi 18 mars 2015

Cosmos 1979



Irenia Pavlovskaïa parlait un fançais parfait qu'elle n'avait pourtant pas appris à Paris mais au Québec lors d'études un peu trop longues au goût de son père, un apparatchik du Parti qui trouvait qu'elle en était revenue, certes en maîtrisant la langue de Gilles Vigneault mais également avec des idées réactionnaires sur le développement industriel et l'épanouissement de soi qui faisaient blêmir ce père, vieux compagnon de combat de Leonid Brejnev.
Irenia Pavlovskaïa, pourtant, avec l'appui de ce père avait réussi à obtenir ce poste à l'accueil de l'Hôtel Cosmos de Moscou. C'est bien lors de son travail qu'elle vit Jean-Michel Lestrade qui venait là en séminaire.




 - Suite 303, Monsieur Lestrade. Micha va prendre vos bagages.
 - Merci Mademoiselle.
D'un geste de la main presque autoritaire, Irenia fit venir Micha avec un chariot à bagages qui fut chargé illico des deux petites valises de Jean-Michel. Ce dernier, dans l'ascenseur,
eut le temps de se demander d'où cette jolie femme russe aux lunettes trop grandes avait bien pu prendre cet étrange accent québecois avant d'arriver dans sa suite qu'il trouva tout de suite d'un grand luxe et parfaitement meublé. Il glissa un petit billet en dollars à Micha qui le remercia et Jean-Michel se dirigea immédiatement dans sa salle de bain pour s'y rafraîchir.







Il trouva au retour sur la grande table préparée étrangement pour quatre personnes, un mot lui enjoignant de descendre dans le jardin d'hiver. Le mot n'était pas signé mais Jean-Michel reconnut l'écriture de Briniscu immédiatement. Jean-Michel n'aimait pas le ton du mot ni l'idée que ce dernier puisse ainsi entrer dans sa chambre sans lui demander son autorisation. Il décida de ne pas y répondre. Il regarda sur la table basse les nombreux services proposés par l'hôtel dans son dépliant. Il choisit de suite le bowling.





Victor, Nikolaus et Theresa attendaient Jean-Michel sans savoir que celui-ci avait décidé de ne pas répondre à cette invitation. Ils étaient trois jeunes diplômés de l'école d'architecture de Leningrad que Briniscu voulait présenter à l'ingénieur français car c'étaient bien ces trois jeunes architectes qui recevraient les plans de Jean-Michel et devraient les interpréter et jouer des coudes pour qu'on les croie provenir de la pensée soviétique. Victor était amoureux de Nikolaus depuis toujours et Theresa ne rêvait que de retourner à Berlin-Est pour retrouver son soldat allemand. Tout cela Jean-Michel l'ignorait, s'en moquait et même ne le saurait jamais. Il lançait des boules seul, totalement seul à cette heure dans le bowling de l'hôtel et il pensait à son intervention du lendemain sur l'économie des structures du béton dans le système Camus.



Dimitri faisait sonner les glaçons dans le shaker pour la préparation de sa spécialité un cocktail à base de vodka qu'il savait faire à la perfection. C'était un excellent barman qui avait même eu l'honneur de servir son breuvage à Mireille Mathieu lors d'une visite dans l'hôtel. Il gardait toujours depuis une photographie de lui et la Petite Française devant son bar. Il faisait semblant d'écouter les histoires de cette cliente qui ne buvait que du jus d'orange et il finit par servir son cocktail à un roumain barbu qui n'était autre que Briniscu. Ce dernier regardait les bouteilles d'alcool provenant de tous les pays du monde en se demandant dans lequel il n'était pas au moins passé une fois. Le cognac lui offrit l'occasion de se rappeler Jean-Michel et son séjour à Paris il y avait plus de quinze ans maintenant. Avalant d'une traite le fond de son verre, faisant claquer sa langue de satisfaction, il se décida à aller vérifier que Jean-Michel était bien en pleine discussion avec les trois jeunes architectes.



Victor regardait le jeune serveur qui tentait de satisfaire les deux autres clients de l'hôtel et devant l'énorme choix de nourriture, Victor était étourdi. Il avait laissé ses deux camarades au jardin d'hiver pour manger un peu et profiter des largesses du Parti ce qui faisait un peu peur à Nikolaus et Theresa. Mais bien plus que le saumon fumé ou les délicieux pâtés en croûte, Victor regardait le magnifique nœud papillon du serveur se demandant comment on défait un tel nœud du cou d'un jeune homme. Son regard appuyé fut remarqué par ce dernier qui tout en s'approchant avec un large sourire lui indiqua d'emblée qu'on pouvait tout lui apporter dans sa chambre. Surpris à la fois par la proposition de service et la possible erreur d'interprétation de celle-ci, Victor fut décontenancé et bredouilla qu'il aurait plaisir à manger ici. Il fit également tomber son assiette.
Arrivant au jardin d'hiver, Briniscu demanda vivement où était Victor et devant les excuses des deux autres jeunes architectes, il comprit que son plan était en train de prendre l'eau. La peur saisit alors les deux malheureux obligés d'inventer une histoire sur un mal de tête de leur camarade parti pourtant se remplir le ventre de nourriture. Briniscu fit demi-tour, sauta dans l'ascenseur, appuya sur le bouton marqué du chiffre trois et en quelques minutes se trouva à sonner à la porte de la suite de Jean-Michel.
Il ouvrit.
 - C'est vous Briniscu ! Quelle surprise...
 - Bonjour Lestrade ! Vous n'avez pas trouvé mon mot ?
 - Mais vous êtes essoufflé Briniscu ! Que vous arrive-t-il ? Asseyez-vous... Un mot, dites-vous ? Non, je n'ai pas vu... J'étais justement en train d'appeler le room-service pour leur demander pourquoi un repas pour quatre personnes était prévu dans ma chambre... Auriez-vous des informations à ce sujet mon cher Briniscu ?
Obligé de fulminer de l'intérieur, Briniscu affichait une tête se voulant sereine mais ses molaires faisaient des mouvement sous ses joues.
 - Oui, une surprise ! Je voulais vous faire la surprise ! il y a là, en bas, trois jeunes architectes venus vous rencontrer. Ils vous attendaient au jardin d'hiver pour un verre de l'amitié et déjeuner avec vous ici.
 - Ah ? Mais j'ai autre chose de prévu voyez-vous Monsieur Briniscu...
 - Oui oui je comprends, Jean-Michel. Avez-vous... Mais... Avez-vous apporté mes, enfin, les petites choses que je vous ai demandées par courrier ?
 - Vous voulez dire l'ensemble des études sur les appuis de votre hôtel ?
 - Oui, puis-je m'asseoir ?
 - Oui Briniscu, tout est là dans la mallette bleue. Tout est rangé sous le titre "Système Camus".
 - Puis-je les emporter de suite ?
 - Oui, cela serait mieux, je dois partir. J'ai un rendez-vous ce soir avec un vieil ami pour préparer mon intervention de demain.
Briniscu avait allumé une cigarette et avait fait ce geste de bien s'enfoncer dans le siège indiquant ainsi à Jean-Michel qu'il n'avait pas l'intention de partir si vite. Il avait posé la mallette bleue sur ses genoux et entamé la lecture des documents comme pour vérifier leur exactitude. Jean-Michel resta debout tout contre le fauteuil et regardait le dessus du crâne de Briniscu et il fut interpelé par une cicatrice.
 - C'est la dernière fois comme convenu, Briniscu.
 - Oui, je sais cher Lestrade, ne soyez-pas inquiet, le Parti vous remercie, le Parti vous invite, le Parti sera... Toujours là, toujours... En cas de besoin pour vous Jean-Michel.
Jean-Michel avait bien saisi que l'appui sur le toujours n'était pas forcément un signe positif. Au claquement des fermetures d'acier de la mallette, Briniscu se leva d'un coup et pris congé si rapidement que Jean-Michel se retrouva planté là, seul, dans sa chambre sans rien comprendre. Il appela l'accueil de l'hôtel. Il reconnu l'accent de Irenia :
 - Un vol pour Paris le plus rapidement possible ? Oui, Monsieur Lestrade, vous en avez un dans trois heures. Dois-je réserver une place ?
 - S'il vous plaît, Mademoiselle. Vous ferez comme pour la chambre.
 - Oui, elle sera ajoutée au compte, bien entendu. Avez-vous besoin d'un taxi pour vous emmener à l'aéroport ?
 - S'il vous plaît, oui, disons dans une heure.
 - Parfait Monsieur Lestrade, on viendra vous prendre. L'Hôtel Cosmos reste à votre service.
Une heure après, Jean-Michel quitta l'hôtel et en traversant le grand hall, il fit attention à ne pas croiser Briniscu. Il ne sut pas qu'il croisa Victor, Nikolaus et Theresa qui partaient à leur tour. Il regarda le plafond, la dimension de la pièce, l'éclairage. Il fut admiratif de la sculpture étrange qui tombait du plafond et se rappela alors quelques belles expériences de Rodchenko. Il trouva toute cette histoire peu sérieuse comme fondée sur des images. Avec son billet d'avion, Irenia donna à Jean-Michel une pochette de cartes postales faisant la promotion de l'hôtel Cosmos pour le remercier de son séjour. Comme un acte manqué, Jean-Michel oublia la pochette sur le siège arrière de la Volga qui l'emmenait à l'aéroport. Il ne revint jamais à Moscou.

Merci Marc.




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