jeudi 2 janvier 2025

Une certaine perfection

 Pour bien commencer cette année, j'ai eu du mal à trouver quoi vous montrer, surtout à vous, les plus fidèles de mes blogs.
Il y a certes encore bien des surprises à venir, des inédites encore cachées dans des boites à chaussures que je trouverai au petit matin d'un vide-grenier mais j'avais envie d'un archétype, d'un ensemble radieux, de la preuve d'une certaine beauté au moins d'une certaine beauté de l'image. 
Commençons l'année 2025 par des ciels presque trop bleus, du hard-french tout neuf, une spatialité bien engagée et surtout un sens du cadre que l'on doit au photographe bien plus, sans doute, qu'aux architectes parfois étonnés eux-mêmes que leur construction puisse ainsi agir en image.

J'ai ouvert mes classeurs, les feuilletant page à page, puis j'ai trouvé et choisi ces deux cartes postales que je pensais avoir déjà publiées tant elles me confortent dans mon idée d'un certain monde au bord de la perfection. Et non, je n'habite pas là.



La première est un chef-d'oeuvre et je pèse mes mots. Nous sommes à La Charité-sur-Loire devant ce que l'éditeur "les éditions nivernaises" ne nomme que comme les H.L.M. Au vu des automobiles, nous sommes vers la fin des années soixante, début des années soixante-dix alors que la carte fut expédiée en 2002. Quelle lenteur dans la reconnaissance...
Le photographe n'est malheureusement pas nommé mais la mise en scène de cette image est parfaite, idéale, révélant pour moi de l'archétype presque trop exact à mes attentes de collectionneur. Trois beaux blocs se succèdent dans une régularité faisant du prospect un rythme serein, tranquille mais déterminé. Espace, espace, espace, construction, construction, construction.
On note comment par un léger biais, le photographe permet aux trois blocs de faire une seule image, élargissant ainsi la probabilité de trouver chez le client le lieu de sa vie. Un sol très présent place le photographe debout, au milieu de la chaussée, utilisant les couleurs de voitures pour ponctuer un peu le lieu d'une certaine gaité. Bleu 4CV, Blanc Renault 8, Rouge Fiat. On note que le rouge de la voiture triangule parfaitement avec le rouge de la bouche à incendie qui fait un couple amusant avec le lampadaire bien frêle, lui, parfaitement au milieu du cadre. Les enfants s'éloignent, le soleil tape, les ombres sont dures. 
Est-ce que comme moi vous entendez le silence ? Le calme, presque une torpeur ?
Aimez-vous comme moi les blocs dont les plaques de béton préfabriquées sont si lisibles par leur jointure ? Et l'alternance simple mais efficace des couleurs donne à l'ensemble une netteté presque hygiénique. Certes les poètes à deux balles regretteront le manque de fantaisie, la raideur n'étant pas tout le monde un gage justement de projection. Moi, ça me réjouit cette honnêteté constructive, sa lisibilité.
Et, soudain, sous la loupe de mon compte-fil monte un détail que je n'aurais pas vu sans lui : deux enfants à la fenêtre nous regardent, en tout cas, regardent le photographe faire son cliché. Eux aussi sont en rouge.
Cette image m'englobe, me prend totalement, me projette comme on dit. Cette force des images n'est ni un leurre à dénoncer, ni une auto-persuasion d'un bonheur lointain et utopique. Il s'agit d'un voyage fait surtout d'indices pour moi tout aussi puissants que d'aller voir le réel qui, souvent, n'apporte que la déception. Et pourquoi donc devrais-je au nom d'une certaine vérité devoir subir cette déception ? Pourquoi vouloir s'y engager ? À jamais le soleil sera à ce moment-là, à jamais les enfants regarderont par cette fenêtre, à jamais je verrai les enfants s'éloigner, à jamais je verrai ces trois blocs dire et raconter une certaine idée du logement social, idée sans doute aujourd'hui décriée au nom de son pragmatisme. Pragmatisme que notre époque devrait justement à nouveau espérer.
Je vous laisse à cette délectation.
Malheureusement, l'isolation par l'extérieur a ruiné l'écriture... Combien de temps encore allons-nous supporter ça ?





L'autre carte postale, j'aurais pu aller en constater la réalité d'aujourd'hui puisqu'elle nous montre la Tour, rue Docteur Gallouen à Saint-Étienne-du-Rouvray près de chez moi. Mais à quoi bon ? Pourquoi ne pas simplement se réjouir que j'y suis déjà, là, devant cette carte postale des éditions Estel expédiée en 1987. La carte fut envoyée pour un jeu et la réponse donnée par Sylvie à Télé-Loisirs était : "En persévérant on peut arriver à tout". Petite sentence libérale, pleine d'espoir, de rêve du mérite bien tempéré. Je n'y crois pas tellement à ce genre de petites phrases. Pourtant, la morale devrait me toucher. Je n'ai pourtant pas, après sept ans de travail et de persévérance, réussi à faire classer le centre commercial de Mr Claude Parent à Ris-Orangis...

Revenons à notre image.
Une tour donc, mais une tour un peu massive, pas très élancée qui distribue une belle façade régulière largement percée dont les balcons fabriquent la rupture de la grille. C'est très bien dessiné, c'est pur, rigoureux, solide et affermi par les verticales. L'espace sous la tour lui donne aussi son élan, une légèreté dans une tentative de répondre à certaines théories modernes. Tout est bien redressé photographiquement et le dessin ne s'échappe pas trop vers son point de fuite : presque une perspective cavalière.
Le jeu des stores donne une ponctuation simple mais belle répondant au bleu du ciel. Comme elle semble isolée cette tour ! Mais pourquoi donc la viser ainsi, pourquoi donc venir là ? Un peu de branches sur la gauche nous laissera l'idée qu'elle surgit soudainement du cadre. Personne cette fois. Personne.
On entendrait une mouche voler.
Je scrute sans succès chacune des fenêtres pour y trouver une surprise, un regard, une présence. En vain.
Je me sens bien, tranquille, au travail. 
Comment l'Histoire regardera ce genre de vue dans deux siècles ? Comment ils regarderont ma petite tentative d'en dire du bien, de vouloir garder un peu cette réalité redevenue depuis un imaginaire ? Comprendront-ils ma jubilation ? Riront-ils de ma naïveté ou de mon pas de côté ? Y aura-t-il alors un regret ?
M'entendez-vous ?
Y a quelqu'un ?
Eh ? 

On notera que pour ces deux cartes postales de logements sociaux ne manquant pas de qualité, aucun architecte n'est nommé. C'est dommage et injuste. Ils n'avaient pas démérité.
Bonne année 2025 pleine de combats patrimoniaux et de sauvetage du logement social et de sa culture architecturale et paysagère.
David Liaudet



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