samedi 6 juillet 2024

Dubuisson avant Dubuisson



Non mais ce n'est pas vrai !
Voilà un peu mon interjection ce matin en cherchant des informations sur les architectes de la Reconstruction de Saint-Lô suite à l'achat d'un petit lot de cartes postales de la ville.
Et dire que j'ai failli laisser ces deux-là avec un peu de dédain je l'avoue, puis je me suis (avec joie maintenant) heureusement ravisé ! Car...oui, ces deux cartes postales de l'hôtel Mercure nous montre bien l'une des premières constructions de Jean Dubuisson ! On est en 1953 !
Quand je vous dis qu'il faut toujours tirer le fil de l'histoire, toujours bien regarder et apprendre, toujours finalement aussi ne rien négliger surtout quand une carte postale ne vaut que quelques centimes et qu'elle vous permet ainsi de saisir un beau morceau d'histoire sur l'un des plus grands architectes du XXème siècle.
Alors, il y avait aussi bien des raisons à mon premier mouvement de dédain. On ne peut pas dire que l'écriture de cet immeuble soit ni spectaculaire ni très signifiante de l'oeuvre de l'architecte à venir. Et les très légers signes d'une modernité m'ont tout de même fait changer d'avis : distribution des ouvertures, longueur régulière, blancheur et maigreur. J'aimais surtout le rapport des masses entre le pont du premier plan et donc l'hôtel dessiné par Dubuisson. On dirait qu'il est posé dessus. Ce qui a donc changé mon avis c'est bien le travail du photographe des éditions C.A.P. Quel bonheur !
Je ne trouve pas grand chose sur cet immeuble mais on note qu'il est tout de même bien référencé par Archiguide (merci!).
Aujourd'hui, il est toujours debout et semble en bon état à part une immonde vérandalisation* pour le restaurant  La Plage...tentant, sans doute, de faire une terrasse au plus proche de la Vire. Il faut le dire, on peut, en effet, regretter que le bâtiment de Dubuisson soit ainsi poussé un peu loin de la rivière et laisse devant lui une esplanade un rien vide servant de parking. C'est assez curieux d'un point de vue urbanistique. Les chambres donnent donc sur un parking. On comprend donc ce mouvement cherchant à récupérer la proximité avec la Vire.
On admire un peu plus loin le magnifique bâtiment qui était alors un garage Citroën (maintenant tendanceOuest) ! Incroyable !




La belle béquille qui dessine son profil est superbe ! Peut-être que le génie de Dubuisson se tient ici. On voit mieux comment l'architecture alors tente de récupérer la pente pour faire glisser les deux constructions l'une sous l'autre. 
D'ailleurs...est-ce bien encore du Dubuisson ? Oui ! 
Voilà donc une belle découverte comme je les aime. Il me faudra sans doute aller un jour dans cette ville si bien reconstruite et en admirer les architectures. Il existe d'ailleurs un parcours dans la ville pour ce faire créé par l'Office de Tourisme de Saint-Lô. Quelle belle idée ! Bravo ! J'espère qu'il nous fait passer devant ce beau morceau juvénile de Jean Dubuisson ! Oui ! 
Très belle plaquette à télécharger ici : 

* véranda + vandalisme = vérandalisation. Néologisme inventé par Charlotte de Charette pour Royan (merci Charlotte !)

Pour revoir Jean Dubuisson sur ce blog :
etc...






vendredi 5 juillet 2024

Les triangulaires de Guillou



 Ah ! Voilà bien l'occasion pour certains de crier à nouveau à la traitrise des images et particulièrement de la photographie !
Comment, en effet, depuis ce point de vue, comprendre vraiment la volumétrie de ce restaurant universitaire de Nantes, restaurant dessiné par le célèbre (et breton) Yves Guillou ?
Ce qui surprend si bien c'est comment l'extrémité du bâtiment semble n'être qu'une lame sans épaisseur.
Bien entendu, le restaurant universitaire n'est pas ainsi aussi étroit dans cet espace et la pointe à l'arrière nous explique mieux, par sa transparence, ce que nous devrions comprendre de cette architecture.
Cela donne au bâtiment de Guillou une véritable écriture presque post-moderne ou du moins High-Tech, écriture qui n'arrivera que bien plus tard pourtant.
Ici, un beau mur-rideau bien fin vient remplir la carcasse de béton en formant donc des branches triangulaires, comme une étoile permettant sans doute d'ouvrir largement les point de vue, produisant aussi un jeu plastique avec les croisements des regards d'une pointe à l'autre : quelque chose de ludique et de cinétique.
On peut donc assez facilement penser que Guillou avait prévu ce jeu optique, ce plaisir du développement de l'épaisseur par la circulation autour de la forme. 
La carte postale est une édition Artaud qui ne nous donne pas le nom du photographe qui a attendu un drôle de moment lumineux pour faire son cliché. L'ombre du premier plan ne laisse que peu de chance à la lumière de faire jouer la transparence des fenêtres qui semblent bien sombres. Peut-être aussi que le verre prenant trop le soleil et le renvoyant ne permettait pas d'attendre que celui-ci frappe et revienne depuis la surface vitrée en éclats trop puissants.
Dans mon Fonds, je retrouve assez facilement Guillou avec une autre carte postale que j'aime tout particulièrement pour la qualité assez étrange de son édition au-delà bien entendu de la forme architecturale qui est ainsi proposée.
L'église de Caudran. 


Tout est si propre, si net, si tendu que l'on pourrait croire à une photographie de maquette. Monsieur Marigny l'éditeur a-t-il vu ce glissement plastique possible ? En tout cas, l'église de Caudran est bien attribuée sur cette carte postale à Guillou. On admire une fois de plus comment l'architecte semble aimer les triangles, les angles pointus, les masses. Ici c'est tout le toit qui fait architecture se posant sur le sol. Il ne reste de verticales que la petite bande de pierres sous le porche creusé dans l'épaisseur et ce bandeau blanc immaculé qui dessine un A majuscule dont on ignore le sens. C'est d'une grande beauté cette image et cette architecture. Ça ne rigole pas....Là aussi, difficile de dire ce qui dessine vraiment le lieu entre l'image et l'architecture. Il ne fait aucun doute que Guillou fait une architecture d'images, prompte à faire des formes pures sous la lumière, une photogénie qui pourrait prendre le pas sur le sens des espaces. Cela se veut spectaculaire et moderne en offrant pourtant comme base une certain registre formel assez traditionnel (le toit en ardoise en double pente) ici surjoué, sur-dimensionné, exubérant, on dirait presque baroque. Comme si la Modernité ne pouvait rester ancrée dans la tradition qu'en hypertrophiant ses caractéristiques. C'est assez curieux et assez représentatif de l'époque. 
Promis, dès que je le pourrai, je vous montrerai l'intérieur absolument magnifique.

Pour voir ou revoir Guillou :

lundi 1 juillet 2024

Le retour de Paul Vimond

 Il est toujours intéressant, au hasard des trouvailles, de retrouver des architectes découverts il y a longtemps et déjà un peu oubliés alors qu'ils ont eu un rôle important dans la construction de la France d'après-guerre. L'histoire de l'architecture aurait donc du mal à imprimer dans nos têtes certains noms, certains travaux, comme si la clarté ou la complexité de son déroulement ne savait pas laisser la place à des personnalités n'ayant pas obtenues une certaines reconnaissances hors des milieux spécialisés.
Paul Vimond est de ceux-là.
Malgré une carrière incroyable et une quantité de réalisations très grande, je n'arrive pas à retenir son nom et il me faut vérifier dans mes archives que j'ai bien déjà parlé de lui, un peu par chance, depuis une carte postale il y a quatre ans.
Et le voilà de retour avec une superbe carte postale dont la qualité de l'espace urbain essaie d'être démontrée comme si le photographe tentait de mettre tous ses atouts sur une même image : on dira un programme.




D'abord la carte postale est dans un état absolument parfait, elle est toute neuve. Il s'agit d'une édition Iris pour la Compagnie des Arts Photographiques (CAP) qui, malheureusement, ne nomme pas son photographe. Pourtant, ce dernier fait tout le travail de compréhension de cet espace nouveau : la Z.U.P de Cherbourg-Octeville. On note que Paul Vimond y est nommé architecte en chef de la zup Cherbourg-Octeville. Et ce qu'on voit est superbe d'espaces ouverts, de netteté, de lumière, de projection dans un paysage. Le photographe cadre en mettant au premier plan la belle grille des immeubles dont la composition est si moderniste et abstraite. Jeu très subtil des ouvertures, des creux et des vides d'une très délicate polychromie jouant ici admirablement avec le ciel. On est en hauteur et le terrain au pied des petits immeubles est travaillé pour faire émerger des niveaux, des pentes permettant de voir l'horizon. On essaie de comprendre si nous ne serions pas à l'ombre d'un immeuble à notre gauche. C'est un promontoire que nous montre le photographe, un espace vide, un balcon sur le monde, on voit bien au fond la gare maritime de Cherbourg et le port et...la mer....
Les enfants jouent dans leur espace si caractéristique de celui du Hard French, terrain de sable, jeu en forme de cocotte en papier géante (un toboggan, le même qu'à Port Leucate !), puis le parking, puis la ville, puis la mer. Une sorte de déclaration de l'urbanisme moderne, une sorte d'application à la lettre de la distribution de ces espaces de la ville nouvelle. Je m'amuse des caravanes aussi parfaitement alignées sur le parking que les immeubles sur leur pente, comme un avant-gout des vacances, un certain sens de l'égalité : vue sur mer, vue sur les immeubles, un entre-deux poétique et populaire. Où pourrions-nous laisser ainsi sa caravane sur un parking en bas des immeubles aujourd'hui ? Où, aujourd'hui, pourrions-nous laisser des enfants si jeunes sans surveillance jouer au pied des immeubles ? Cette limpidité des espaces est bien ce qui a fait la qualité de cette architecture et de cette école du logement social. Une école ayant tenté de faire rapidement et qualitativement aussi de la ville, de la ville certes parfois un peu loin des centres anciens mais offrant tout de même un lieu avec des qualités évidentes, du moins, depuis cette image.
Alors il n'est pas question ici de faire une analyse de comment on a vécu dans cet espoir et cette réalité, ni de juger depuis une représentation les qualités de vie d'un espace, mais, après tout, on peut aussi voir cela non pas comme une propagande éhontée d'un monde parfait (ah la critique des images...) mais bien comme un cadre tout de même documentaire. Il y a, dans tout, du documentaire.
Je laisse aux sociologues parachutés (ils le sont presque toujours) le soin de l'analyse des signes et des témoignages pour compléter cette image. Je fais ce que je peux. Et le photographe de cartes postales aussi.


Sur une autre carte postale cette fois des Éditions Normandes le Goubey on est descendus en ville, on a tourné notre regard vers la hauteur. La ville semble plus complexe, plus tassée, comme un collage de strates, comme si le photographe avait voulu tout mettre dans la seule image et surtout raconter les articulations urbaines, chanter les dispositifs de la mobilité moderne : train, auto. Comme si la ville moderne devait démontrée ses jonctions avec le monde. La mer doit être dans notre dos. La Zup est ainsi reléguée là-haut, tout là-haut, presque loin, presque comme une citadelle, un château-fort.
Mais à qui s'adresse cette carte postale ? Cette représentation de l'espace urbain ? Aux habitants bien évidemment ! On imagine peu ou mal un touriste achetant ce genre de carte pour parler de son séjour touristique à Cherbourg...Est-ce que Jacques Demi, ses acteurs et son équipe technique ont débarqué de Paris dans cette gare ? J'aimerai tellement.
En quelque sorte, cette carte postale nous dit : tout va bien ! La ville est moderne ! On t'attendra à la gare. 

Pour revoir Paul Vimond sur ce blog :
Pour le connaitre un peu mieux :