mercredi 27 mai 2020

l'Architecture pour de vrai



L'émotion spatiale peut-elle être résumée par un cliché ?
Peut-on trouver de la grâce à un lieu sans en avoir parcouru le moindre espace ?
Doit-on donner la chance à une photographie de construire une beauté peut-être absente de son sujet ?

Oui.

Il existe bien des images sans doute plus fortes que leur objet et cette carte postale publicitaire pour Onduline, la plaque asphaltée pour toiture le prouve. J'aime tellement cette incroyable image. Bien entendu, l'étendue du bâtiment qui fuit hors du cadre, la totale absence d'ouverture ou de variation dans sa couverture, les stries formant un jeu cinétique s'épuisant dans un gris presque blanc, le ciel merveilleusement nuageux qui donne un espace incroyable à ce qui pourtant pourrait être une image fermée, tout cela et bien plus encore fabrique une émotion spatiale qui pourrait pour un architecte radical devenir aussi la base d'un vrai beau travail architectural.
Ici le photographe avait en charge de raconter les possibilités du matériau, d'en dire ses qualités et ses capacités à couvrir sur de grandes étendues une surface. Le bâtiment idéal pour chanter cela est bien ce bâtiment agricole dont le brutalisme évident, celui de Reyner Banham (et non celui galvaudé de Chadwick), donne la chance d'imaginer autre chose que le juste et nécessaire besoin de cette couverture. Les bâtiments filant ainsi à l'infini, offrant comme espace l'idée que rien n'empêchera leur traversée du paysage, l'implacable continuité de leur plastique donne une force architecturale souvent émouvante, poétique et bien entendu, violente et grave. Tout tiendra dans ce rapport. Rien ne semble retenir la progression dans le paysage des lignes et j'imagine bien, à l'intérieur de la construction, très loin, là-bas, le point de fuite. L'émotion du tunnel, celle du couloir, donnant à l'espace, immédiatement, la sensation du temps nécessaire à le parcourir comme le gardien d'immeuble dans Playtime de Tati.
Ce qui est touchant aussi dans cette image publicitaire c'est que c'est bien son pragmatisme commercial qui lui donne ses qualités esthétiques. Oh, ici, rien n'est au service du rêve ou de l'onirisme et Monsieur Flandre, le photographe, n'est pas d'un temps où il croit pouvoir faire là œuvre contemporaine avec discours obligatoire sur l'hétérotopie agricole ou la typologie objective allemande*... Non, il sait photographier. C'est tout. C'est l'essentiel. Il prête une attention particulière à son cadre, il regarde son ciel, il donne à l'ensemble une ambition d'une image à la fois descriptive et analytique ou le noir et blanc est parfaitement maîtrisé. L'Onduline ondule bien, l'herbe pousse bien, les nuages voyagent bien, la lumière tombe bien. Voilà qui est suffisant, voilà qui sait fabriquer une image et aussi c'est bien le plus étonnant, une architecture.
Tout comme Le Corbusier sachant regarder les silos à grain, remercions Monsieur Flandre de nous faire regarder les hangars agricoles avec l'égard qu'ils méritent et non avec le dédain du chasseur contemporain de vernaculaire. Walker Evans aurait aimé cette carte postale.

Nous avons pour cette carte postale beaucoup d'informations : le nom du photographe donc, Monsieur Flandre dont on nous précise qu'il est d'Amiens, le nom du produit Onduline qui permet de couvrir une arche agricole à Wiencourt-l'Équipée. On note une faute à Wiencourt, écrit avec un A. On sait que l'Onduline est une plaque asphaltée, idéale pour la toiture et qu'elle est fabriquée par O. F. I. C.  à Paris. La carte n'a pas été expédiée, elle n'est donc pas datée.

On notera les deux trous de punaises. Et voyez-vous cela ne me gêne pas. Je suis un collectionneur de cartes postales qui aime les signes qui les couvrent et qui racontent leurs usages.

Mais est-il possible de penser que cette architecture existe toujours ? Que ces lignes fuyantes fuient encore dans le paysage de la Somme ? Que l'Onduline baigne toujours dans une lumière ennuagée ?
Qui sait... L'académisme contemporain le plongera peut-être dans un inutile atlas de formes.

* vous pouvez réécouter à ce sujet la chronique corbuséenne N°57, 00H43min47s



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