lundi 11 juin 2018

La fatigue à Ronchamp

Parce que Ronchamp n'est pas seulement une église mais un programme religieux plus complexe, Le Corbusier n'y a pas seulement dessiné une chapelle mais bien un ensemble offrant d'abord, cela va de soi, le lieu de culte mais également un abri pour les pèlerins, sujets premiers de cet espace spirituel.
Le pèlerin est un être en mouvement désirant un but, dont le cheminement intérieur se matérialise dans le concret du cheminement réel. Arrivé à destination, il doit trouver à la fois l'objet de sa quête mais aussi le repos. Non pas que la fatigue soit un élément du programme du pèlerinage, même si elle est une manière de se débarrasser de l'harassement des pensées négatives, mais elle est présente, subtile, comme une présence du corps, ce sac de peau comme disait Corbu qu'il faut bien emmener avec soi en haut de la colline salvatrice. La joie est là, ne nous y trompons pas. Oh ! La belle joie que cette fatigue utile, achalante, digne !
Pour elle, il fallait un abri, et à Ronchamp, c'est Le Corbusier qui le dessine. Souvent oublié des représentations de Ronchamp, souvent même oublié de notre cinéma intérieur que nous nous fabriquons de Ronchamp, l'abri des Pèlerins est pourtant bien un élément essentiel de ce mouvement vers la colline sacrée. Il est, de plus, d'une beauté brutaliste stupéfiante, jouant de tous les contrastes avec la Chapelle. Il est donc assez étonnant d'en trouver une représentation en carte postale même si il faut relativiser cette surprise :


En effet, dans un lieu aussi fréquenté, il est normal de vouloir offrir finalement toutes les représentations. Le pèlerin depuis toujours a été friand des objets liés à son pèlerinage et il a toujours été un fétichiste de son propre mouvement. La représentation n'y échappe pas et vouloir revenir avec l'image de ce mouvement, vouloir en communiquer le but atteint enfin est très normal. Et puis la très grande fréquentation entraîne forcément la possibilité aussi de multiplier les angles des points de vue, presque certain qu'il y a là la possibilité de jouer avec l'ensemble des représentations de chacun. N'oublions pas non plus qu'il existe des cartes postales de second regard, celles fabriquées pour les habitués d'un lieu, leur permettant d'échapper aux représentations habituelles et de ne pas répéter leur désir d'images. Plus un lieu est fréquenté, plus il a de chance de proposer des angles et des images originales et variées, c'est la loi du marché qui autorise cette générosité des points de vues. On enverra l'abri des Pèlerins soit à une personne à laquelle on a déjà envoyé la Chapelle l'an dernier, soit à une personne connaissant le lieu, soit aussi, évidemment, parce que finalement c'est bien là que le correspondant arrive.
Cette carte postale est une édition de la Société Immobilière de Notre-Dame de Ronchamp. Elle ne précise pas son photographe qui pourrait bien évidemment être Charles Bueb. On note que l'abri est photographié en contre-plongée depuis le chemin en contrebas, laissant tout de même à la Chapelle la chance d'apparaître à gauche de la photographie, cela, bien clairement, pose le désir de la localiser. Cela permet aussi de jouer du contraste entre les lignes courbes de la Chapelle et les angles de l'abri, tous deux pourtant, semblant darder le ciel gris. Tout le vocabulaire corbuséen est de sortie : disposition des ouvertures, leur retrait dans l'épaisseur du mur, les traces des planches dans le béton banché, les aplats de couleurs vives, le déversoir épais des gouttières, la forme tenue, serrée, compacte d'un dessin très lisible.
Je pense soudain à la cantine de Marçon par Wogenscky. 
On notera enfin, que la carte ne fut pas expédiée, sans doute achetée comme souvenir, comme une note que l'on fait d'un lieu, vertu de la Veduta.
Mais avant d'arriver, le pèlerin perçoit-il cela :


Cette carte postale du même éditeur nous montre à peine la Chapelle, perdue au milieu des branches, posée sur le haut de sa colline. Bien entendu, il s'agit d'une image dramatique, au sens où elle joue avec notre désir de nous raconter l'histoire du moment du surgissement du lieu du pèlerinage, de son but, enfin, là-bas, au loin, presque déjà là. Ce point de vue permet aussi de comprendre comment le rocher sculpté par Le Corbusier semble naturel, comme un fruit, un caillou, la carapace d'on ne sait quel crabe de montagne échoué là. Là également, cette carte postale s'adresse sans doute à un client ayant déjà joué au pèlerin, ayant déjà usé son œil sur une image plus attendue et cherchant un point de vue plus original, moins resserré sur l'église mais plus sur l'événement même du pèlerinage lui-même. Un regard averti en quelque sorte, délaissant la représentation de l'objet architectural au profit de la représentation de l'événement.
Une fois encore l'éditeur oublie de nous nommer quel photographe-pèlerin a ainsi vu Ronchamp. Dommage d'avoir perdu le corps qui va avec cet œil, écartant les branches, un peu loin du lieu, regardant avec émotion la chance de Ronchamp comme nous avait écrit Claude Parent dans sa préface pour notre livre sur Charles Bueb.

Sur Ronchamp :
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