samedi 17 décembre 2016

Ascension Cesenatico

Note aux lecteurs : Ceux qui ont écouté ma Chronique Corbuséenne ce jeudi sur Radio On ( la radio de l'école des Beaux-Arts du Mans) auront appris la disparition de Denis Herzog, le compagnon de Jean-Jean.
Évidemment cette soudaine nouvelle nous laisse tous dans un état de stupéfaction et de grande tristesse. L'article qui suit avait été écrit avant mardi, donc avant la disparition de Denis. Je me dois de vous dire que c'est Jean-Jean qui m'a autorisé à poursuivre cette histoire. Nous rendrons sur ce blog un hommage plus particulier à Denis ces jours prochains. 








 

Même si Jocelyne supportait facilement les errements architecturaux de Jean-Michel, elle ne comprenait vraiment pas l'intérêt de venir voir cette tour isolée et toute droite à Cesenatico. Elle se disait que l'Italie comptait tout de même d'autres beautés pittoresques qu'il aurait été judicieux de voir également même si, bien entendu, elle était ravie de voir son mari heureux de pouvoir enfin rencontrer les constructions dont il rêvait depuis longtemps. Ce voyage en Italie et cet été 1962 s'achevaient ensemble. Il fallait rentrer ce week-end. Jocelyne avait fait comme d'habitude, elle avait laissé Jean-Michel faire sa promenade architecturale tout seul et avait décidé d'envoyer encore quelques cartes postales et aussi d'en acheter pour Jean-Michel car, elle le savait, il était suffisamment mauvais photographe et suffisamment lunaire pour simplement oublier de prendre des clichés. Une fois son choix de cartes postales effectué, elle alla s'asseoir à l'abri d'un parasol sur une plage privée et commanda un rafraîchissement. Elle trouva la plage un peu bruyante, un peu trop vivante, même si la langue italienne donnait à ce foutoir joyeux quelque chose de plaisant et d'un rien cinématographique. Elle se demanda soudain comment Jean-Michel ferait pour la retrouver car il était parti seul, sans se retourner vers le gratte-ciel, en donnant vaguement de la main une direction possible pour se retrouver après sa visite. Cela fit sourire Jocelyne et elle se rappela que son chapeau de paille de couleur rouge-orangé serait bien assez voyant pour que son mari identifie de loin celle qui le porte. Jocelyne commença comme toujours par d'abord écrire une carte postale à Yasmina et aux enfants en séjour à Royan. Le message était toujours un peu le même, le climat, les beautés locales, les joies de Jean-Michel et l'espoir que Yasmina s'en tire bien avec Gilles et Momo. Jocelyne n'était pas inquiète mais voulait surtout que Yasmina sache à quel point elle était gentille de faire cet effort et de porter ainsi pendant un mois les enfants. Elle saura à son retour combien elle avait eu raison et combien Yasmina avait su parfaitement tenir le duo. Jocelyne avait d'ailleurs acheté pour Yasmina, à Milan, un superbe sac à main en cuir italien assorti à une petite ceinture que Yasmina, bien des années après, utiliserait encore car comme elle aimait à le dire " rien ne vaut le chic italien". Puis Jocelyne envoyait une carte postale à chacun des garçons, puis à la mère de Jean-Michel. Toujours dans cet ordre, suivaient ensuite les amis et les collègues architectes ou ingénieurs de Jean-Michel que Jocelyne obligeait à signer les cartes pour maintenir de bonne relations professionnelles. Jocelyne avait un petit carnet rouge à spirales dans lequel toutes les adresses étaient inscrites et qu'elle barrait d'un coup de crayon rageur lorsque l'envoi de la carte était effectué. Il lui restait, en cette fin de voyage, encore trois adresses non rayées dans son carnet.
Jocelyne mit la main sur son front pour faire une visière et tenta de voir au loin Jean-Michel. Elle regarda la tour mais, bien entendu, ne put voir son mari.



Jean-Michel s'approcha du gratte-ciel, il en fit le tour, regarda surtout comment il était planté dans le sol, comment l'architecte avait travaillé cette liaison entre l'horizontale et la verticale. Et puis, un peu comme tout le monde, devant l'indigence de ce travail et sa brutalité, il leva machinalement la tête pour suivre l'immense montée vers le ciel que la construction obligeait à faire. Le cou brisé, la tête en arrière, il compta en s'amusant les étages et y renonça. Il s'approcha alors de l'entrée, palpa comme il le faisait toujours les murs, toucha le béton et fut soudain comme attiré vers l'intérieur. Il se retrouva presque sans le vouloir au pied des ascenseurs et suivit une femme italienne qui appuya sur le numéro 12.
 - Vous êtes... français ? demanda d'un coup la jeune femme.
 - Euh... Oui... Mais...
 - Vos chaussures...Vous avez des chaussures de français ! reprit d'un coup la femme.
 - Ah ? Et c'est embêtant ? questionna Jean-Michel en souriant.
 - Non, mais je suis française aussi. Vous êtes en voyage, je présume. Qui venez-vous voir ici ?
 - Ba, c'est vrai que cela peut sembler bizarre mais je ne viens voir personne, juste l'immeuble, vous voyez je suis...
 - Architecte ou un truc comme ça ?
 - Oui, ingénieur et...
La porte de l'ascenseur s'ouvrit. Jean-Michel fit un demi-tour sur lui-même pour laisser sortir la jeune femme.
 - Appuyez sur le 35 puis, prenez la deuxième porte à gauche, vous vous retrouverez devant un petit escalier et...
La porte de l'ascenseur se referma d'un coup, la jeune femme y coinça son pied. La porte s'ouvrit à nouveau.
 - ... et vous serez sur le toit. je crois que cela vous plaira.
 - Oh ! Merci, merci Mademoiselle !
 - Madame, Madame Vigosi. Bonne visite !
Madame Vigosi enleva son pied et la porte de l'ascenseur, cette fois, se ferma. Jean-Michel se trouva bien devant une sortie, puis devant l'escalier et enfin sur ce toit.
Le vent souleva la casquette de Jean-Michel et elle s'envola sans remords vers la mer. Jean-Michel en fut immédiatement contrarié puis amusé à l'idée de voir Jocelyne ronchonner de cette perte. Il s'accouda alors sur le bord, regarda le paysage plat et la plage occupée par toutes ces petites constructions et ces centaines de parasols.





Il savait que Jocelyne, sa femme, était là quelque part, qu'il devrait sans doute longer le trait de plage juste devant la mer pour espérer la retrouver. Mais pour l'instant, sur le sommet de cette tour isolée, presque ridicule dans sa solitude, il sentait la construction comme un immense talon sous ses chaussures. Il se demanda ce que Eugenio Berardi, son architecte, voulait bien raconter avec une telle architecture, si un jour cette tour de Cesenatico serait rejointe par d'autres finissant ainsi de boucher le front de mer comme en Espagne à Benidorm. Il pensait à la masse, au jeu des vides et des pleins, à ce désir de monter vers le ciel, à Alvar Aalto qui affirmait que parfois, dans un paysage naturel c'est une construction qui le souligne le mieux. Il pensa aussi à Momo et à Gilles. Il pensa à Yasmina. Soudain, il avait une envie folle de les revoir tous les trois. Il devra dire à Jocelyne ce désir une fois en bas, sur la plage. Il en oubliera même d'aller voir la construction de Gio Ponti en ville.




 

par ordre d'apparition :
- édition B. Marcaccini, Rima.
- édition Pavicart
- édition Pavicart, Photo aérienne CONC. S.M.A
- édition B. Marcaccini, Rima.
- édition Pavicart
- édition Pavicart
Merci Claude !

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