lundi 22 février 2016

Construire sur et avec la fragilité

 

Jean-Michel passait machinalement son pouce gauche sur les croix faites au stylo-bille par Jacqueline, une amie vivant à Garches dans les nouveaux immeubles Grande-Rue dessinés par l'architecte Ginsberg. Jean-Michel en regardant la carte postale coloriée rapidement et un peu légèrement, reconnaissait tout de même son travail et admirait le beau dessin de cette façade épaissie comme repoussée vers l'intérieur du bâtiment. Percées, avancées, trouées donnaient un rythme joyeux et cinétique à cet ensemble d'immeubles dont Ginsberg maîtrisait aisément la modernité. Dans le retrait, des ouvertures immenses et généreuses laissaient entrer la lumière, la façade devenant en fait, ainsi, une sorte de filtre entre l'intérieur et l'extérieur, une politesse du passage.




Jean-Michel chercha un dossier pour y ranger cette carte postale. Il aimait ainsi depuis toujours conserver l'ensemble des documents en liaison directe avec son travail. Tout y passait : articles de presse, cartes postales, correspondances en tous genres, factures et photographies qu'il prenait directement sur le chantier même s'il savait qu'il n'avait pas vraiment un œil remarquable de photographe, d'où sa collection de cartes postales. Il trouva rapidement un dossier déjà établi sur la région parisienne et il y glissa sans même l'ouvrir la carte postale. Il pensa à autre chose oubliant immédiatement ce chantier de Garches et son architecte. Il oublia même de répondre à Jacqueline ce que ne manqua pas de lui reprocher Jocelyne quelques jours plus tard.
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- Oui c'est possible, ça va être un peu fin mais c'est possible.
- Il faut que cela soit fin comme un voile, comme un tissu.
- Certainement, j'entends bien mais faut aussi que cela tienne !
- Alors, vous prenez le chantier ?
- Oui oui, je vais vous calculer ça, laissez-moi disons...15 jours pour commencer et on se revoit, je vous appelle pour vous dire où j'en suis.
- Ok, d'accord, pas plus tôt ?
- Non, j'ai trop de choses en route, et là c'est sérieux vaut mieux pas faire d'erreur. Je pense qu'il faudra peut-être reprendre les études des appuis qui me semblent un peu légers et...
- ... Ah, vous croyez ?
- Je ne crois pas, j'en suis certain. Mais rien qui ne changera le dessin architectural, juste une remise en tension ici et ici sur l'appui central, vous voyez ?
- Oui oui, je comprends, l'idée étant bien de maintenir une ouverture maximum sur tout le périmètre et...
- Oui, oui, ça, il n'y a aucun souci, cela sera ouvert mais une telle finesse devrait peut-être ne pas être en béton mais en métal.
- .... euh... oui... On y a pensé aussi...
- Oui, je crois que cela serait mieux, je fais si vous voulez le calcul pour les deux cas avec estimation du coût mais pour moi c'est quasiment certain.
- Bon, bien, je repasse vous voir alors Monsieur Lestrade.
- Oui. Merci. Appelez-moi.
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 Alvar regardait le relais de Cocody à Abidjan. Il regardait surtout le bâtiment circulaire et son toit si fin ressemblant à une fleur. Il en aimait cette forme et s'interrogeait sur le devenir de la construction.
- Tu vas y aller ? demanda Jean-Jean à son père Alvar.
- Je ne crois pas non !
- Tu devrais pour l'inventaire que tu veux faire.
- Oui, je sais mais là... C'est un peu loin, tu sais, même ton arrière-grand-père n'y est pas allé ! Il envoyait les plans et les calculs aux architectes et c'est tout.
- Mais je croyais qu'il faisait des inspections ?
- Oui, bien sûr, mais pas pour des chantiers si lointains, enfin je crois pas, ce qui est certain c'est qu'il n'est jamais allé à Abidjan. Il est allé au Maghreb au début de sa carrière et tu en connais les conséquences familiales, mais pas en Afrique de l'Ouest.
- Il n'a donc jamais vu la construction ? C'est triste.
- Oui, un peu, d'où sans doute, son goût pour les archives et les images.
- Quand tu es allé au Maroc avec ton oncle, il n'est pas venu ?
- Ah non ! Ni lui ni ton grand-père ! J'ai dû faire le voyage avec Tonton Gilles. D'ailleurs cela fut assez pénible pour eux deux.
- Tu as retrouvé ton vrai grand-père tout de même.
- Oui donc ton arrière-grand père. Mais nous n'avions rien en commun. Il était gentil, heureux de me rencontrer mais je crois qu'il était surtout dans l'attente de revoir son fils et non son petit-fils.
- C'est con tout ça.
- Non non, certainement pas ! Ne dis jamais ça ! C'est des histoires d'hommes, des tentatives de bien faire, des générosités. Tu fais partie de cette histoire. Il n'y a rien à juger. Crois-moi. Mais sois présent à ton histoire. Sois actif, prends-la en charge, guide ce poids vers la terre.
- J'essaie mais cela fabrique des images dont je ne suis pas certain.
Alvar ouvrit alors son portefeuille et tendit à Jean-Jean une photographie. On y voyait un monsieur en costume un peu trop grand pour lui avec une cravate un peu démodée. Sur sa tête un chapeau feutre avec un large bandeau noir. Il souriait à l'appareil photo mais quelque chose d'inquiet et de forcé se faisait voir. Mais surtout, surtout, il était d'une ressemblance frappante avec Jean-Jean comme si on l'avait déguisé ainsi.
- C'est mon grand-père, le père de Papy Momo et donc ton arrière-grand-père, Jean-Jean.
- .... Ah ?
- .... ni.... Papy Momo ni ton arrière-grand-père n'ont vu cette photographie. Jamais. Yasmina oui. Ton arrière grand-mère. Elle en avait une copie. Elle alla même le revoir vers 1982-83.
- Il... Je... On se ressemble...
- Oui ! Je sais ! Tu ressembles aussi beaucoup à ton grand-père Momo. Ce nez et vos yeux. Tout pareil.
- Il est encore vivant ?
- Non... il est décédé bien avant ta naissance. Peu de temps après que Yasmina l'ait revu. Mais il y a des demi-frères et sœurs là-bas. Toute une famille.
- Famille... je ne crois pas que cela soit la mienne... enfin...
- Non, c'est vrai, c'est à toi de décider. De construire ou pas quelque chose sur cette fragilité.

Par ordre d'apparition :
- Garches, les nouveaux immeubles Grande-Rue, édition Abeille-Cartes, sans date ni nom de photographe ou d'architecte.
- Abidjan, vue aérienne des Relais de COCODY, édité par la Librairie de France, photographies de J.C. Nourault. Pas de date ni de nom d'architecte. L'architecte est Henri Chomette.

1 commentaire:

  1. LECLERCQ URBANISTE23 février 2016 à 00:03

    Hôtel des relais aériens français à Cocody financé per le jeune groupe Air France. Désormais occupé par le bureau national d'études techniques et de développement, situé boulevard de la corniche. Mais pas de nom d'architecte.

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