lundi 18 mars 2013

Le pain et Mitterrand

Le ça des cartes postales est un ça curieux.
D'abord, je ne regarde jamais les détails mais plus souvent le paysage ou, devrais-je préciser, le sujet de la carte postale. Ce sujet est celui qui a produit l'image, la raison de son existence, ce pour quoi éditeur et photographe ont pris la décision de l'édition d'une carte postale.
Mais...
Mais l'œil cherche, l'œil est mobile. Je dis bien l'œil.
S'appuyant dans la reconnaissance de l'espace d'une image, s'y retrouvant grâce à la perspective de la photographie et à sa vérité, l'œil scrute.
Ainsi naissent les ça.
Ces moments particuliers, (moments car leur unité est bien le temps tout autant que l'espace) fabriquent soudain une familiarité avec l'image.
Et vous connaissez bien sur ce blog ces moments où soudain un morceau de l'image semble à lui seul la résumer, la rassembler, presque la justifier.
Voyons cela à Bagnolet :



Les Nouveaux Immeubles de Bagnolet sont de M. Montifroy, architecte. C'est l'éditeur Combier qui précise et qui nous donne aussi la date de cette prise de vue : 1960.
On est à hauteur de piéton au pied d'une barre hard french si marquée et dont nous pourrions bien nous réjouir de la belle grille.
Et, une fois la jubilation de ma recherche satisfaite, une fois que l'ensemble de mon jeu de reconnaissances culturelles est effectué, je ne peux m'empêcher de chercher autre chose. Je dirais même que s'impose autre chose, cela vient sans crier gare : le pain.





La demoiselle, silhouette tellement fragile et tellement marquée pourtant par son époque, passe en bas de l'image. Mais j'épuise vite ce témoin que je crois reconnaitre souvent dans les images. Non, ce qui me fascine (au sens fort de ce verbe) ce qui me fascine donc c'est bien ce pain.
J'y vois comme l'absolu indice de l'éphémère, du temps qui passe et j'ose d'une vanité. La jeune femme vieillira, l'immeuble lui, affirme une pérennité, mais ce pain va disparaitre bien avant la construction de cette carte postale. Il n'existe certainement déjà plus lorsque le photographe retourne chez Combier. Il a disparu dans un dîner, un goûter.
Et comme ce pain est autant une construction que l'immeuble, comme son façonnage porte autant de technicité que l'appareil photographique qui l'enregistre, il est dans sa vocation à être englouti, le ça absolu de cette image.
Vous aurez remarqué que ce ça m'a empêché de parler de l'architecture...
Toujours à Bagnolet :



Il est aisé de penser que si je vous montre cette carte postale c'est bien pour cette construction cylindrique perdue au milieu des parallélépipèdes. Vous direz avec raison que j'aime encore vous perdre au milieu des constructions de logements sociaux, au milieu d'une architecture un peu dure.
Vous aurez raison. Et si la Clinique de la Dhuys fait bien l'image de cette carte postale Raymon, très vite, je me promène sur les trottoirs, très vite je laisse le photographe à son cadre. Je pars en vadrouille, mon œil part en vadrouille.
Que mon œil soit à lui seul mon je est encore une fois la réalité du parcours des images. L'œil devient oreille (ici un bruit de fond léger), pieds (je sens la pente de la rue), nez (un air frais d'une journée de printemps).
Je pourrais alors gloser sur l'architecture, dire à la fois son approche banale de la modernité (faire rond à la place de carré). Je pourrais m'amuser de sa façade en partie en retrait et de l'effet jubilatoire par la simplicité de son architectonique mais tout mon regard part à droite sur le trottoir. Tout mon regard vise (et ce n'est pas ici un terme militaire) une affiche ou je devine François Mitterrand.
Nous sommes donc aux alentours du 5 mai 1974.





Il est difficile de dire si cette affiche vient juste d'être collée ou si elle est là depuis six mois oubliée. Mais elle porte indéniablement une histoire. Elle signe le temps.
Elle a aussi, comme le pain, vocation a disparaître rapidement. Elle est fragile mais sophistiquée. Elle aussi semble en dire plus sur le moment de l'image que finalement sans doute l'architecture qui vise elle à une pérennité plus grande. Et je vois en accéléré l'affiche disparaître de ce plot de ciment sur le trottoir. Je vois le papier se décoller dans un coin, je vois un puis deux puis deux cents chiens pisser tour à tour sur ce papier déjà blanchi. Puis par lambeaux minuscules, je vois l'affiche disparaître dans le caniveau. Sans doute qu'un employé municipal achèvera le travail dès le mois de juillet...
Mais cette photographie politique prise dans cette photographie de paysage restera comme le ça de cette image. Elle suffira toujours et agira toujours comme un déclencheur à vivre dans l'image, à vivre à rebours pourtant toujours dans un présent renouvelé.
Une forme, oui, de projection.
Et je vous ai de nouveau finalement peu parlé d'architecture.

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