jeudi 31 janvier 2013

Brasilia raggazzi

 



Ils se donnaient toujours rendez-vous au café Le brésilien de St-Quentin. Il faut dire que Vincent avait commencé son boulot à la station service BP juste en face. 
Ils se connaissaient tous depuis l'école primaire sauf Sébastien qui était arrivé cette année au Lycée Carnot mais s'était tout de suite reconnu dans cette troupe qui fumait déjà Camel et Gauloises et parlait des filles comme d'un territoire enfin conquis.



La patronne du café un jour expliqua pourquoi le bar portait ce nom. Elle avait été amoureuse d'un beau brésilien reparti juste après la Libération et dont elle ne conservait en souvenir qu'un garçon de leur âge parti rejoindre son père il y a maintenant 5 ans.
Mais la bande de jeunes n'écoutait que peu les errements de la patronne autant par indifférence que parce que le bruit du babyfoot couvrait ses paroles. Pour eux, brésilien c'était juste un nom, une sonorité qui faisait un peu rêver à des plages lointaines.
Ils n'attendaient rien ici que l'été et la barre difficile du service militaire. Chacun voulant faire une vie, loin de St-Quentin, croyant que partir était forcément la solution. Ils voyaient trop de films sans doute.
Et puis il fallait finir le lycée, prendre un métier, essayer de s'en tirer le mieux possible. Seul Mickael semblait des fois un peu lointain. Il n'entendait pas toujours qu'on lui parlait et les autres s'amusaient de lui, le disaient dans la lune. Mickael était certes un peu particulier dans cette équipe. Fils de bonne famille, son argent de poche était souvent celui du groupe tout entier ! Il aimait le cinéma et non le ciné, il tentait des fois de parler politique, il voulait aussi voir les choses du monde. Il fit marrer tout le café un jour en tentant d'y lire des extraits du dernier roman de Sagan. Mais on aimait son sens de la répartie, son goût pour les blagues étrangement salaces dans sa bouche et surtout il était un sportif accompli. Mickael avait essayé de demander à Madame Terrasson la patronne le nom de la ville du Brésil où était parti son fils. Il avait lu dans un numéro de Réalités un article sur le pays et surtout sur Brasilia, sa capitale ultra-moderne. Madame Terrasson ne sut pas bien lui répondre à moins que Mickael, aussitôt la question posée, ne se soit pas intéressé à la réponse !
Et le verre laissa un cercle de bière sur la couverture du magazine. Et les autres appelèrent Mickael pour former les deux équipes de babyfoot.
On rigolait, on faisait semblant d'être des adultes et la joyeuse compagnie partait toujours vers les sept heures du soir en laissant Madame Terrasson un peu plus heureuse.
Mais le nom de Brasilia commença étrangement à revenir souvent dans les paroles de Mickael. Comme une ritournelle, un point incontournable. Comme si soudain le mot de cette ville à lui seul avait réussi à recouvrir toutes les aspirations du jeune homme : l'aventure, l'inconnu, le soleil, un exotisme de cinéma et même quelque chose de la science-fiction que Mickael commençait à lire avec sérieux et attention.
Comment un mot peut-il ainsi entourer une personne, l'habiller en quelque sorte ?
Brasilia, Brasilia, Brasilia... les autres n'en pouvaient plus et commençaient à rire de Mickael qui en avait bien l'habitude ! Un jour pourtant, Denis lui lâcha que lui était déjà allé à Brasilia !
Le silence se fit immédiatement dans le petit groupe autour de Denis.
Puis tous se mirent à rire et à se moquer de Denis. Mais il insista et devant les yeux grands ouverts d'admiration de Mickael il lâcha :" Oui Brasilia, le Camping Brasilia à Canet plage !"



Mickael ne savait plus ce qu'il devait ressentir, pris entre une déception profonde et une envie de rigoler avec tout le groupe.
"Tu vois, tu peux aller à Brasilia si tu veux Mickael" lui dit Denis !
"Et d'ailleurs allons-y tous !"
"C'est une super idée " reprit Vincent ! " C'est sans doute le dernier été où c'est possible, l'année prochaine Denis sera au service et Romain sera en apprentissage."
"Ouais ! Partons en juillet !" dit Romain.
"Comme ça le petit aura vu Brasilia !" se moqua Denis ! Un coup de poing bien ferme mais amical dans l'épaule fut la réponse de Mickael qui ajouta soudainement qu'il pouvait prendre la FIAT de sa mère...........................................................................................................................................................



.... Ils avaient bien vu le photographe hier soir déjà sur la plage qui prenait des photos des commodités du camping et Denis lui avait même demandé comment on faisait pour faire ce boulot qui lui paraissait bien facile et tranquille.
Le type lui avait répondu avec un accent italien étonnant ici qu'il y avait des écoles certainement aussi en France. Ils étaient tous là, de retour de la baignade. Ils n'attendaient rien de particulier sauf Mickael parti téléphoner à ses parents.
A son retour, le photographe leur demanda s'il voulaient bien tous poser pour la photo. Il leur donnerait à chacun un tirage le sur-lendemain. Rendez-vous fut pris et Denis et Romain négocièrent une bière en plus ! Tout le monde était ravi de ce marché ! Ils regardèrent tous bien droit dans les yeux le photographe sauf... Mickael perdu dans ses pensées.



 
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...................................................................................................................................................................Alors que Vincent finissait le réglage des soupapes de la Renault 16 d'un client, il entendit Madame Terrasson qui l'appelait de l'autre côté de la rue. Debout devant le café Le brésilien, elle brandissait un morceau de carton que Vincent mit un temps à reconnaître comme une carte postale.
"Regarde c'est une carte de Mickael !"
Les doigts plein de cambouis du jeune mécanicien noircirent le ciel bleu d'une carte postale en provenance de Brasilia. Au dos Mickael avait écrit simplement :" avec Jean-Pierre, la ville autour, Mickael."
Vincent demanda à Madame Terrasson qui pouvait bien être ce Jean-Pierre. Elle répondit dans un souffle : "Mon fils, c'est mon fils".



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