mercredi 7 avril 2021

Alpha 2000

 Je surfe. De carte en carte, de boîte en boîte, dans un sentiment curieux de déjà vu, d'avoir rempli sans doute un peu ma mission qui s'achève. Quelques belles nouvelles d'hommes qui se reconnaissent sur les cartes postales publiées ou la nomination au Pritzker Price de Lacaton et Vassal pourraient me réjouir pourtant.

Que dire encore ? le Brutalisme est maintenant devenu un objet pour défilé de mode, pour safaris exotiques au risque d'en perdre l'essence-même et sa vraie histoire. On voit ainsi depuis Chadwick* que le mélange des genres est devenu la norme et même le très beau et sans doute utile SOSBrutalism n'est constitué que d'un cocktail de constructions dont finalement on ne sait plus très bien le goût original. Dois-je participer à cette confusion ?

Faut-il d'abord se dire que finalement les choses avancent ? Mais si le charme des bétons biscornus Vintage est maintenant considéré comme des spots pour Instagrameurs barbus, cela ne risque-t-il pas d'occulter les vrais combats patrimoniaux qui, eux, sont toujours aussi peu visibles. Renaudie et Gailhoustet sont menacés à Ivry. Pas grand monde pour dire quelque chose. Et ne parlons pas de l'architecture préfabriquée en béton et des futurs remodelages éco-énergétiques à venir qui effaceront ce Patrimoine, bien loin des sursauts culturels yuppies. Devrons-nous espérer que la gentrification ou un jardin participatif viendront sauver ces lieux ? 

Alors bien loin de la France, en Afrique, l'Architecture aussi pourrit doucement. Les monstres des années soixante-dix dont on ne sait à qui vraiment ils étaient adressés (sans doute à un certain esprit moderne de la Liberté post-coloniale) sont aussi en danger. Il faut regarder des séries de cartes postales pour y trouver ces monstres en belle forme dans la toute puissance de leur affirmation. Faisons-ça un moment. J'aime l'idée de quitter un peu la France de la culture, celle du dimanche après-midi avec des vélos couchés et des jongleurs sur échasses. Espérons que la France ne devienne pas une Nantes géante...

Voilà :



Il est beau non cet ensemble ? Un rien imposant. On ne comprend pas bien l'articulation de la pyramide qui sert de socle et l'implantation de la tour posée dessus. Vous aurez noté que l'ensemble de notre surprise tient au dégradé du brun chaud sur la façade censé, sans doute, exprimer une attention à l'architecture de terre africaine. Qui y croit vraiment ? Nous sommes à Abidjan, en Côte d'Ivoire devant l'ensemble Alpha 2000 dessiné par le Cabinet de Henri Chomette. Qui allait sur les terrasses herbues prendre l'air ? Je dois dire que mon œil ne peut pas s'empêcher aussi de regarder la très belle grille moderne juste derrière Alpha 2000, tour dont je ne sais rien mais qui pourrait être ailleurs, partout ailleurs qu'en Afrique. La carte est une édition La Librairie de France et le photographe est J.C. Nourault. Pas de date.

Une autre ?


Même éditeur, même photographe, nous voici à hauteur de piéton, tombant sous le charme un rien fardé de cette tour Alpha 2000. Le photographe, écrasé par la hauteur, coupe le haut de la tour mais laisse le parking surchargé prendre bien sa place. Je me demande ce qui est africain sur cette image et puis... je me demande ce que cette recherche d'africanité peut bien vouloir dire pour moi. 

Et de trois :


J.C. Nourault aurait-il pris l'avion dans la même journée car il signe encore ce cliché aérien du plateau d'Abidjan. On y retrouve notre Alpha 2000 bien entouré, pris dans un quartier moderne qui semble en mutation si on en croit les chantiers. Cette vision presque internationalisée d'une ville moderne laisse tout de même la vision d'une nature assez libre, au loin. Qu'en est-il aujourd'hui ? Notez l'étrange changement de couleur de notre Alpha 2000.

Dans un numéro de la magnifique et rare revue Le Mur vivant (1979) je trouve un article sur cet ensemble Alpha 2000. Je vous le donne à lire. Vous verrez que les attaques et les affirmations sont assez étranges et pour le moins directes. Aucune vraie critique architecturale mais un beau placement de produit post-colonial, avec affirmation d'une certaine indépendance des référents historiques. C'est malin en attendant d'être objectif...

*nommé d'ailleurs par John Waters dans son dernier livre...c'est dire que c'est devenu mainstream.








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