lundi 5 novembre 2018

Famille, je vous hais

Est-ce que la proximité avec un lieu oblige à un regard particulier ? Est-ce que la plongée dans les images de ce lieu connu vous laisse forcément plus dubitatifs face à sa représentation ? Ou, au contraire, est-ce que cette reconnaissance est la preuve que l'on complète cette image ?






































Cette carte postale de la Tour du Puchot à Elbeuf qui se nomme vraiment Tour Anatole France j'en connais parfaitement la forme, la présence, et même en partie une certaine familiarité puisque je la fréquente depuis plus de 50 ans.
Elle représenta pour moi, comme pour de nombreux elbeuviens, l'expression de la modernité architecturale et la seule vision d'un Building de grande hauteur avant les voyages vers Paris. Construite sur l'éradication d'un très vieux quartier d'Elbeuf, tout en colombages crasseux et romantiques qui, aujourd'hui ferait frémir les amoureux du Patrimoine, elle s'y opposa de toutes ses forces de la Modernité : hauteur, matériaux (béton), hygiène, radicalité du plan d'urbanisme, image de la puissance publique.
Elle est le Hard French à elle toute seule et sans doute responsable dans la construction de mon imaginaire de ce que je peux défendre ici. La Tour du Puchot est belle de cette histoire, de sa familiarité. Elle est cette silhouette que je reconnais comme signe de mon retour à Elbeuf, toujours. Elle est pour moi, je crois, comme certains phares pour les marins, un objet architectural signifiant à lui seul l'indigène que je suis, elle est un déclencheur d'identité même si je n'ai jamais habité là, mais, finalement, habiter c'est aussi partager les ombres et les lumières des constructions dans le parcours des villes. C'est, en quelque sorte, Notre Monument.
Elle est orgueilleuse, volontairement hors norme et solitaire dans son échelle, ce qui devait alors pour Elbeuf et les politiques locales d'aménagement signifier ce dédain pour le vieux quartier, le désir absolu de faire passer l'Histoire, de basculer dans un nouveau monde.
Aujourd'hui, personne n'oserait ce choc. On ferait de la couture, de la broderie entre le vieux quartier du Puchot et le désir de Modernité : sociologues et urbanistes viendraient parler de mémoire, d'histoire, de capillarité...






































La Tour du Puchot est l'inverse. C'est un acte de puissance, de force dans la certitude de bien faire, de donner enfin un logement et un quartier digne... Dignity, always Dignity...
Cette carte postale de la Tour du Puchot des éditions Edicap nous donne bien le nom d'un architecte : Monsieur Caplain.
On ne retrouve ce nom que sur peu de sites.
C'est tout, c'est déjà bien. Je poursuis donc cette piste.
Ne trouvant pas dans ma bibliothèque l'exemplaire de l'Architecture d'Aujourd'hui de 1949, je demande à Jean-Jean Lestrade de fouiller dans le Fonds de l'Agence Lestrade.
Et voilà !*
L'article très complet sur le Laboratoire de Recherches de la Sidérurgie à Saint-Germain-en Laye nous permet de retrouver Monsieur Caplain qui apparaît comme collaborateur de René Coulon (autre grand nom de l'architecture) et aussi de découvrir que Jean Prouvé a réalisé là l'un de ses plus beaux chantiers ! Jean Prouvé y aura conçu les charpentes mais aussi certaines huisseries et cloisons intérieures. Un must.
Tirer les fils de l'Histoire me passionne...
La revue ayant été éditée avant la fin du chantier, elle ne comporte pas d'image de l'ensemble de ce centre de Recherches, immense d'ailleurs ! Je ne vous donne donc que ce qui concerne Jean Prouvé. Par contre, on y voit au début, une somptueuse publicité pour la Société Dindeleux (qui a les archives de cette société ?) nous montrant la charpente de Jean Prouvé et les réalisations de Dindeleux. Magnifique image !









































Je ne trouve pas grand chose sur Olivier Caplain, il reste assez invisible sur le net. C'est dommage. Si vous avez des infos, merci de partager que nous puissions suivre cet architecte un peu mieux car il semble avoir tout de même bien participé à ce Mouvement Moderne.
En cherchant des information sur cette Tour, je tombe sur cet article :
https://actu.fr/normandie/elbeuf_76231/la-tour-du-puchot-va-etre-detruite-elle-penche_10538690.html
Je vous conseille de bien le lire et de rire avec moi car...Voyez par vous-même !
Je vous propose une carte postale bien étonnante pour poursuivre sur cette Tour du Puchot.

























Étonnante carte postale car elle nous permet d'abord de voir la Tour inachevée, en plein chantier, la grue y est encore attachée. Mais c'est le verso qui laisse pantois puisqu'il s'agit d'une carte postale militante pour le retrait des troupes américaines du Vietnam. Regardez :



Difficile d'en connaître l'origine exacte et qui, à Elbeuf, pouvait croire qu'ainsi, ce type d'agit-prop pouvait réellement agir ? Comment cette carte postale d'une vue d'Elbeuf a-t-elle été distribuée et diffusée et combien furent envoyées au Président Johnson ? C'est en tout cas un document rare ramassant les préoccupations de l'actualité et celle de l'image. Je ne cesse d'être étonné par les cartes postales.
Je vais utiliser les cartes postales pour m'éloigner d'Elbeuf, mêlant un désir profond de le faire dans le réel et la nécessité de montrer cette Tour du Puchot dans son environnement. La première est une édition Combier, l'autre plus éloignée encore est une édition Artaud Frères.
La Seine alors se courbe contre les angles droits du quartier. La langueur de son écoulement me laisse nostalgique et un peu écœuré aussi. Car si Elbeuf est pour moi d'une grande familiarité, mon désir d'émancipation m'a toujours conduit à croire que je devais m'en éloigner. Comment disait André Gide déjà ?
Ah oui : "Famille, je vous hais."

*Merci à Jean-Jean Lestrade pour les scans de la revue et la recherche.



























1 commentaire:

  1. Qui peut ne pas aimer Elbeuf et son patrimoine ancien ou moderne ! Concernant l'architecte, l'Annuaire de la profession en 1957 dit "Caplain (Olivier), D.P.L.G., 17, avenue de Tourville (7e)" - au cas où, son téléphone est - "Inv. 03-77" (mais je ne peux rien garantir concernant sa validité). Je tombe deux lignes au-dessus sur "Candilis (Georges), 22, rue La Fontaine (16e)." Pas de téléphone... Ce qui m'a donné l'idée d'en chercher d'autres, évidemment "Le Corbusier (Charles), c, [croix], 35, rue de Sèvres (6e). Sur rendez-vous. Tél. Littré 99-62"... On connait tous l'adresse de l'atelier, mais plus rarement le téléphone. On aimerait tellement le composer et prendre rendez-vous !

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