lundi 22 décembre 2014

Archives 01



Sans doute l'un des livres les plus importants de cette fin d'année.
Archives 01 est un petit livre par son format mais un grand ouvrage par sa destinée.
Ce format à l'italienne rappelle ici celui de nos cartes postales. Et beaucoup de sa qualité vient aussi de cette proximité avec le creux de la main. Pas de grandiloquence éditoriale.
Des centaines de photographies de ce que deviennent, ou sont, les grands ensembles, photographiés à hauteur d'yeux, ne laissant rien paraître d'une forme spécifique, d'une attitude, ou peut-être alors une mécanique.
Il ne faudrait pas trop vite chanter ici une objectivité tant aujourd'hui celle-ci est usée mais plus certainement une forme respectueuse, c'est-à-dire justement, sans forme de jugement a priori, avant de venir voir.
Les photographies sont de Adel Tincelin.
Ce qui frappe, c'est l'incivilité. C'est son esthétisme en quelque sorte. Ce que je veux dire c'est que cette incivilité n'est pas seulement celle de la poubelle éventrée, de la Clio mal garée, du tag sous la fenêtre. Non, c'est celle aussi des politiques urbaines, des abandons des populations, des ayants-droits des lieux qui autorisent ou non la promenade. J'ai vécu cette expérience dans les Hauts-de-Rouen, du caïd culturel qui nomme les lieux possibles, et donne son nom comme un passe-droit en cas de souci, en étant certain de faire là un acte de liaison alors même qu'il accepte et même, de la sorte, valide l'exclusion.
Il y a dans ce livre une fatigue profonde qui monte. Elle monte dans des vases communicants entre la politique nécessaire et la réalité affolante. Et le chantier des politiques urbaines montre à la fois la nécessité de faire quelque chose et la manière désolante dans laquelle c'est fait.
En fermant ce livre, j'ai dit adieu à ces paysages. Ce n'est plus la peine. Ils ont raison, il faut tout raser. La tonalité insupportable du rose ocre blanc des peintures des façades qui a surgi partout pour adoucir les barres devient laiteuse, vomitive. Les photographies d'Adel Tincelin sont blanches souvent, un rien surexposées comme pour tranquilliser. Il faut fouiller les images pour trouver les drames, les petites vies et c'est tant mieux. La couleur c'est souvent un tube de plastique rouge d'un chantier. Même pas ici, l'explosion qui se voudrait signifiante des couleurs des graffitis pour faire semblant d'une créativité. On finit par s'en foutre de ceux qui vivent là. On les oublie. De toute manière, ils ne veulent pas être sur les photographies, ils ne veulent pas qu'on leur tire le portrait. Ils ont raison, ils furent trahis. Alors, pour parler d'eux, ils laissent la parole au vide vertigineux des espaces désertés du petit matin, ce temps que l'on conseille toujours pour faire des photographies de la banlieue car les petits dealers dorment encore sous les posters de Rihanna et de Riberi. Les grands ensembles ont toujours cette lumière couvrante, un peu sèche de ce moment de la journée. Ils ont perdu les ciels bleus et les ciels gris de mes cartes postales. Ils ont tout perdu.
Faisons table rase. Allez ! Grignote doucement ! Ça fait moins mal et surtout ça ne fait pas semblant de laisser de temps pour une nostalgie instantanée et esthétisante d'une implosion à la Mathieu Pernot.
Dans ce livre, pas de jugement verbeux, pas d'opinion sur image. On ne fait pas semblant que les grands noms de l'architecture ont œuvré là, ont tenté quelque chose. Tout passe pareil.
Les photographies d'Adel Tincelin passent devant ce travail en oubliant cette attention mais que voulez-vous, voyez ce qui en a été fait. Pourquoi chanter le génie d'un plan, l'efficacité du tracé quand le territoire est dessiné non plus par le "vivre ensemble" mais par les territoires de reventes. Ça n'aurait aucun sens.
Tout est pauvre. Tout, surtout, fut appauvri.
Le livre comporte en son centre un texte où les auteures rappellent plusieurs fois qu'elles sont journalistes. On ne sait même pas bien qui prend la parole. Qui est ce je ? Une fiction ? Mais là aussi, la force vient d'une forme de dépression du jugement. Pour une fois, pas de citation de Guy Debord, pas de citation de Foucault.  Pas de cette sociologie abusive et mal apprise qui serait utilisée comme une autorisation au travail. Pas non plus de cri de désespoir, de revendications, de désir d'appartenir à l'exclusion pour être dans le coup avec la jeunesse. On ne vient pas s'encanailler. C'est donc possible. On y a aimé, on y a vécu, on y revient, on regarde, on cadre, on publie.
Les photographies ont cette qualité étrange, arborant parfois fièrement une poésie du détail, l'ombre portée d'un arbre, la construction d'un pan de couleur ou laissant croire à une distance de constat. On balance entre Atget et la DATAR, entre Stephen Shore et le M.R.U. C'est ce qui en fait la beauté, celle d'une accessibilité possible, d'une familiarité. On ne tente pas de nous vendre la beauté de l'essor du chantier, ni l'arrogance voyou d'un grand reporter en mission.
On regrettera seulement l'absence quasi-totale des noms des architectes, sinon la qualité éditoriale est parfaite pour la reproduction des images, le graphisme et la mise en page. Un vrai bel objet éditorial.

Tout est calme.
Dans l'ombre d'un arbre, une camionnette de C. R. S. fait son travail un peu au loin. Pas d'événement. Son travail. Il faut que quelqu'un le fasse.

Archives 01 est un livre historique.

(je vais de ce pas en commander un deuxième exemplaire.)


Archives 01

La rénovation urbaine en Ile-de-France/Seine-Saint-Denis/Paris/ 2010-2012
Photographies : Adel Tincelin
Textes : Adel Tincelin, Nathalie Perrier
éditions Illimitées
ISBN 978-2-9537412-0-9
















1 commentaire:

  1. je l'ai commandé aussi sur price minister à 10 euro , neuf;

    votre texte est "désespéré" comme je l'ai été travaillant pour la "dalle d'Argenteuil" ...

    RépondreSupprimer