mercredi 17 août 2022

À Saint Étienne, la perfection du Hard French avant...



Il n'est pourtant pas difficile de comprendre la poésie parfaite de cette carte postale.
Ce qui sous-tend cette infiltration du sentiment dans la prise de possession de l'espace, c'est bien la radicalité du lieu, sa transparence à être envers et contre tout.
Si vous ne comprenez pas ce qu'être debout dans un champ de lignes fuyantes, dans une projection sur un tableau, si les mots qui vous viennent à l'esprit en posant vos yeux sur cette carte postale sont violence ou errement ou encore (le pire) démocratie participative alors c'est que vous n'avez rien compris à la nécessité de passer outre le ressentiment et l'histoire.
La photographie ici n'a d'autre sens que de laisser voir et de prouver la présence de cet espace, de ce prospect dans le Monde. Tout le monde n'attend pas d'aller voir le Taj Mahal pour avoir une émotion spatiale. Et ici, Je n'ai aucune raison de vous parler du vivre ensemble (Mitterrand est mort), de l'échelle humaine (quelle grossièreté !) de l'écoute des habitants ou encore de l'hétérotopie foucaldienne, non aucune raison.
Je me tiens debout, là avec le photographe des éditions Cap et je demande avec lui comment je vais faire entrer autant de lieux de vie dans un si petit carton de 10 par 15 centimètres. 
- Est-ce que le canyon minuscule, tu crois, qu'on le verra ?
- Lequel ?
- Cet espace, là, entre la tour et la barre ?
- Oui, c'est même la mire de mon image.
- Et les enfants ?
- Ne t'inquiète pas, ils ont, eux, toujours raison d'être là. C'est toujours l'échelle de mes images.




Messieurs Mathoulin et Bertholon l'histoire de l'Architecture vous doit une belle chandelle. Comme architectes de ces Cités Jardins à Saint Étienne, vous avez su parfaitement faire comme tout le monde. Un beau chemin de grue, de la préfabrication lourde, du béton social, des solutions et pas des atermoiements sociologiques pour philosophes perdus en manque de reconnaissance. Ici, on a fabriqué des abris parce qu'on en avait besoin. Merci pour ça. 
Et, comme un coup de poing dans la figure, la barre s'enfonce dans le nivelé du terrain et la tour se dresse exactement à ce point de rencontre, comme si elle en était le résultat.
Quoi d'autre ? Quoi d'autre que le pan parfait du mur aveugle, que les pilotis qui rattrapent le terrain, que le moulage des cannelures dans le béton, que la radicalité de la grille, que le soleil un peu bas, que le refuge de ce cul-de sac.



Sur cette autre carte postale, la même barre produit les mêmes effets, en entrant dans le sol, elle fait s'ériger une tour. La carte postale des éditions Cap nomme bien encore les architectes : Mathoulin et Bertholon. Ici, par contre, on ne bascule pas sur notre droite, on ne passe pas le mur aveugle pour trouver l'espace en retrait. Le photographe choisit la belle perspective accentuée par l'écrasement de la barre dans les niveaux de la butte. Comme c'est beau ce geste de caler la construction dans ce terrain. Le soleil de l'après-midi (ouest) tape dur sur toute la façade parfaitement maîtrisée dans le jeu des redents et des surlignements du béton: un dessin d'une radicalité époustouflante, belle, sans autre ornement que sa fonction. Tout pour recevoir la lumière.
Alors ? Vous voyez où je veux en venir ?
Oui.
Les deux cartes postales sont du même éditeur et certainement du même photographe. Il lui aura fallu soit attendre, soit venir deux fois car le soleil a tourné sur la barre, éclairant l'une et l'autre des façades (Est-Ouest). Remarquable persévérance pour une nécessité d'image, chance de parler des appartements traversants et de leur double exposition, le photographe offre bien toute les visions possibles d'un morceau d'urbanisme.
En béton, oui.
Préfabriqué, oui.
Collectif, oui.
Social, oui.
Et j'oubliais : beau.
Enfin... jusqu'à ce que ça devienne ça... L'ANRU et les offices H.L.M ont dû faire leur besogne...





Dans un numéro de l'Architecture d'Aujourd'hui de 1954, on retrouve Monsieur Mathoulin architecte pour une très belle tour, toujours à Saint Étienne mais qui n'est pas celle de mes cartes postales. On peut donc en conclure que cet architecte a beaucoup aimé cette ville pour lui donner ainsi deux parfaites beautés du Hard French. Merci Monsieur.
On admirera la poésie concrète de la description technique :





1 commentaire:

  1. Ces architectes méconnus faisaient du bon et beau travail, de l'architecture sans boursouflures mais dessinée, calepinée... reste tout de même cette question épineuse : quid des logements

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