mardi 11 janvier 2022

Des constructivistes et donc des communistes à Strasbourg


 
Il est amusant de voir comment le constructivisme officiel a essaimé en France depuis le Pavillon de 1925 de Melnikov (Melnicov, Melnikoff etc...). Après la découverte de Zolotobin à Marseille, voilà que c'est à Strasbourg, en 1929, que l'on retrouve les constructivistes soviétiques. Et de quelle manière !
Car il ne fait aucun doute au vu de cette carte postale que l'influence du Pavillon de Paris est grande. D'abord le toit clairement inspiré des croisements de l'escalier de celui de Paris puis l'entrée spectaculaire faisant entrer les visiteurs entre des lames dont on devine par le constat qu'elles devaient être de couleur (rouge sans doute ?)
Évidemment, le plan en est bien plus simple, un rectangle, mais on pourrait aussi voir dans cette simplicité, cette fragilité le sens-même de l'influence du pavillon préfabriqué de Melnikov à Paris.
On notera que la carte postale, malheureusement, ne nomme pas le ou les architectes, il est donc difficile de savoir si cette construction fut supervisée par un compagnon de Melnikov et encore moins par Melnikov lui-même, ce qui semble peu probable. Pas plus nous ne saurons si Zolotobin est intervenu dans cette propagande architecturale de L'U.R.S.S comme il l'a fait pour Marseille.
La carte postale nous indique seulement qu'il s'agit là d'une représentation commerciale de l'U.R.S.S, 25 rue de la Ville-L'Evêque à Paris. Peut-être que c'est là que travaillait Zolotobin.
Qui en dessina les plans ? Des soviétiques travaillant en France ? Les plans furent-ils décidés en France puis contrôlés par l'U.R.S.S ? Cela est presque certain de la part d'un état aussi bureaucratique. Est-ce que cette fragilité apparente est aussi l'expression d'un état pauvre, jouant sur l'intelligence pour faire de l'économie un signe de sa modernité ?
Deux messieurs à chapeau à large bord et une dame sont sur le perron et nous attendent. Ils donnent l'échelle de la construction. On s'amuse à rêver que Zolotobin soit l'un deux...
On voit donc que de 1925 à Paris, en passant par 1928 à Marseille et donc 1929 à Strasbourg, la Représentation Commerciale de l'U.R.S.S produit trois Pavillons, tous bien marqués par l'influence constructiviste, très affirmée même, et que ces architectures semblent poursuivre par des formes simples, une certaine pauvreté des matériaux et une éloquence affichée, une architecture avant-gardiste.
Va-t-on vers la découverte d'une école française du constructivisme soviétique en France ? Qui donc étaient ceux qui travaillaient pour cette image moderne en France ?





Mais...
Mais ce n'est pas fini.
Le verso de la carte postale est tout aussi passionnant, je vous le transcris difficilement tant l'écriture est en pattes de mouche.

Strasbourg, le 5 octobre 29
Mon cher Jean,

Merci de ta carte qui nous annonce ta rentrée dans la cage !!!
Notre ami Carlier est toujours en U.R.S.S. il est emballé. Les camarades l'hébergent entièrement à l'œil depuis son arrivée ; ils ne veulent pas qu'il paye 1 centime -ni un kopeck- et sont charmants. Il va tous les soirs au théâtre, qui est tout simplement merveilleux. L'Opéra de Moscou laisse loin derrière lui celui de notre Paris aussi bien illisible, que décors, musique -etc- Le Congrès de Médecin est très intéressant- les installations scientifiques sont hors lignes. Carlier traduit en français et en allemand tous les travaux du congrès. De tout cela il résulte que la haine contre L'U.R.S.S est justifiée de la part des capitalistes car ceux-ci pensent illisible se rendre compte des progrès de géant réalisés là-bas !
As-tu lu les attaques de cet arsouille d'Istrati dans la N.R.F. en voilà une fripouille qui ribouldinguerait là-bas. maintenant insulte salauds ! (sic) Les roumains sont des vauriens. Amitiés Piôtr.

Mais qui sont ce Piôtr et ce Jean à qui est adressée la carte postale ? Qui est ce Carlier qui reste en U.R.S.S ?
Pour Istrati, aucun doute, il s'agit de l'écrivain Panaït Istati dont on sait ce qu'il pensait de l'U.R.S.S. 

Pour Carlier, il pourrait bien s'agir de Aimé Carlier dont la biographie ici semble corresponde point à point à la carte, notamment pour ce qui est des traductions.

On reste sans précision donc sur Piôtr et son ami Jean. Par contre, on devine donc que Piotr est un lecteur de la N.R.F et que les précisions sur le Médecine et l'Opéra prouvent sans doute un niveau culturel élevé.
En tout cas, Piôtr est à Strasbourg, il faudrait donc peut-être chercher du côté des médecins communistes en Alsace à cette période. À moins qu'il ne soit là que de passage. La carte entièrement recouverte d'écriture fut expédiée sous enveloppe car elle ne possède pas d'adresse pour Jean. La familiarité de l'évocation de Carlier pourrait prouver qu'il s'agit de cadres du Parti communiste de l'époque. Mais... rien n'est certain. On notera, une fois encore que, malgré le choix d'une architecture audacieuse et politiquement marquée, le correspondant ne fait aucune allusion à cette architecture, n'émet aucun jugement positif ou négatif sur ce qu'il y a vu. L'image fait foi de cette modernité et de cette communauté d'idées.
Il va sans dire que, pour notre part, cette carte postale de par son image et son texte, fait partie maintenant des plus belles de la collection de David.
Walid Riplet.

Pour relire les articles sur Georges Zolotobin, Melnikov et les constructivistes :






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