dimanche 8 décembre 2019

Le dernier sursaut

La carte postale est encore un peu humide du crachin bien qu'elle fut rangée immédiatement dans ma poche.
Je rencontre une vieille amie, collectionneuse comme moi, qui m'annonce tout de go qu'elle arrête de collectionner les cartes postales, qu'on ne trouve plus rien, que les acheteurs et vendeurs deviennent difficiles.
Oui.
Une ambiance de fin.

Tout cela est assez vrai, dans le fond. Je me vois aussi, parfois, hésitant à plonger mes mains encore une fois dans une boîte à chaussures, certain qu'il me faudra passer le barrage de centaines de drouilles pour rêver trouver de quoi alimenter ce blog en nouveauté.
Qui est épuisé ? Le marché ou le chineur...

Alors ce matin, je n'achète que quatre cartes pour un euro. Rien d'extravagant, juste de quoi me laisser croire que je trouve encore des choses.

Voici l'une d'elles :



Si je vous la montre c'est qu'elle est représentative. Dans un beau noir et blanc au ciel parfaitement disparu, sur la crête des collines, s'invente un horizon de béton venant dominer les pavillons et la petite ville habituelle judicieusement placée en bas de l'image par le photographe. On ne sait pas ce qu'il annonce, ce photographe. Chante-il là la beauté de l'avenir ? La puissance d'une période riche ? L'écrasement du tissu urbain ancien au profit d'une invention soudaine ?
Veut-il simplement trouver un point de vue mettant parfaitement en place les constructions modernes de Saint-Étienne sur les hauteurs et montrer comment elles fabriquent ce nouveau paysage ?
En fait, la seule question qui se pose c'est bien de savoir si cette carte postale est un constat ou un jugement.
Aujourd'hui le débat semble clos. Il faut juger et même avant tout accuser. Accuser cette architecture du logement social d'avoir trop vite donné des solutions. Accuser les architectes et les politiques de n'avoir rien compris des évolutions démographiques à venir vingt ans après.
Peut-on encore aimer ces lieux, peut-on même oser leur trouver du génie en ne passant pas pour un bobo exilé regardant de loin une beauté que seule sa culture lui permettrait de comprendre et de voir ?
Alors que la cité fait partie du décor de tous les clips de rap, qu'elle agit comme un territoire d'identité, presque aussi un bastion, une forteresse ou une énergie folle que nous vend Télérama, je ne sais plus quoi penser ce matin, en regardant cette carte postale. Je sens que je m'éloigne aussi, fatigué par toutes ces positions mélangées.
Fatigué.

Et le frémissement pour l'intérêt culturel et historique semble trop souvent maintenant l'occasion de dire adieu à ces quartiers, à leur architecture.
Le dernier sursaut.
Le dernier.

La carte est une édition A. Vial sans nom de photographe, ni de date.
Il s'agit bien de la Cité Beaulieu Rond-Points à Saint-Étienne.


1 commentaire:

  1. les politiques et les archis 'coupables' ; ou bien ce corps des ingénieurs des ponts et chaussées ; ou bien les trois ensembles...

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