samedi 10 février 2018

Marcel Lods, actualités bonnes et tristes

Ici, depuis longtemps, j'aime évoquer Marcel Lods. Évidemment il est très présent dans ma région, autour de Rouen et à Elbeuf. Son actualité régionale c'est ainsi la destruction honteuse de ses immeubles dans les Hauts-de-Rouen. Personne n'a bronché, surtout pas les responsables du Patrimoine en Région Normandie ou à la Mairie de Rouen.
Je reçois une annonce pour une exposition au MUS à Suresnes où Marcel Lods est associé à Eugène Beaudouin, je vous communique en fin d'article les informations, il y a aussi un cycle de conférences. C'est une bonne nouvelle et il me faudra trouver le temps de venir la voir. Allez-y !
Vous savez aussi que Marcel Lods et Eugène Beaudouin sont menacés à Clichy au travers d'un projet réalisé par Rudy Ricciotti. La Maison du Peuple, qui si le projet voit le jour, ne sera plus rien qu'un socle pour une tour dont je vous laisse juge de la qualité signalétique, pour les qualités architecturales respectueuses, on repassera... Ou pas. Dommage de la part d'un si bon architecte et surtout dommage pour ce chef-d'œuvre bafoué et écrasé. La Maison du Peuple devrait être littéralement intouchable. Oui, intouchable et cela veut dire que l'on ne peut pas lui accoler quoi que ce soit qui fasse rupture avec son environnement urbain. Les échelles, ça se respecte tout autant que la construction, Monsieur l'architecte.
Je vous offre une carte postale inédite de ce chef-d'œuvre :


On notera que l'éditeur Marco nomme la Maison du Peuple et les Halles. La carte postale reste difficile à dater mais je la crois du début des années cinquante. On y voit bien à droite la Maison du Peuple et sa façade superbe venir contraster avec la rue. On remarque que l'éditeur ne lui donne pas toute la place mais laisse la ville et sa rue jouer avec elle. La Maison du Peuple est chez elle en quelque sorte. Ciel blanchi, lumière venant de la gauche. Nous sommes à hauteur de piéton, la vraie place. Allez rigoler en regardant la vidéo du groupe Duval. Vous remarquerez que rien ne signale le contact entre la construction de Monsieur Ricciotti et la Maison du Peuple. Et pour cause... Et surtout, il faudra un jour faire une parodie de ce genre de machin communicationnel où les dessinateurs nous mettent des chaises de Jean Prouvé dans le décor en garantie de leur attention et de leur appartenance au club des modernistes convertis de justesse. Allez ! Mets-moi du Prouvé ! Comme un certain ancien ministre, demandait qu'on lui mette du blancos, du White sur les images du marché pour faire cosmopolite. Et la fenêtre s'ouvre sur la ville de Clichy, le vent fait tourner les pages du catalogue et au loin, à l'horizon ensoleillé sur une musique attendrie, la tour de spaghettis s'élève, majestueuse, forcément majestueuse ! Pouf, pouf, pouf !
Non ? Franchement, les gars... C'est une blague ? Et le Centre Pompidou cautionne ?


Même type de communication, belle image, belle image :




Mais l'autre actualité sur Marcel Lods qui, peut-être est un peu loin, peut-être est un peu trop proche, est l'édition d'un superbe et très touchant ouvrage sur Drancy.





Il est inutile de dire combien ce lieu est douloureux, combien pour un architecte qu'une histoire aussi difficile puisse entacher son œuvre est une chose pénible et injuste. Drancy c'est une architecture, belle, puissante, généreuse à l'idée de loger, d'habiter. Mais c'est aussi un camp de concentration, un camp de départ pour la mort, une ignominie dont, bien évidemment, il faudra toujours, toujours dégager l'architecte de cette responsabilité. Trop de petits redresseurs de tort de l'architecture moderne ont sauté sur le dos de Marcel Lods pour accuser son architecture à Drancy, comme si, intrinsèquement, elle était prédestinée à se transformer ainsi. Cette thèse est ridicule, elle est pourtant partagée, on la trouve par exemple, dans le malgré tout excellent ouvrage de François Maspero Les passagers du Roissy-Express, avec une mauvaise foi déconcertante. (voir pages 174 à 180)
C'est pour cette raison qu'il est toujours bien d'entendre les témoignages de ceux qui ont vécu cette douloureuse expérience et ce livre vient à point.
Ce livre est plus que poignant et Georges Horan-Koiransky nous donne l'exacte mesure de ce qui s'est joué ici, dans les immeubles de Marcel Lods. L'édition de ce témoignage dessiné et écrit est d'une grande tenue éditoriale. Texte explicatif qui remet en place l'ouvrage et l'auteur dans son époque, fac-similé du livre original, qualité d'impression, choix des typos et des papiers, tout est superbement tenu. Pierre Gaudin et Aude Garnier pour Creaphis éditions ont fait un travail vraiment remarquable. Il est donc aisé d'entrer avec Georges Horan-Koiransky dans son enfer. Il est aisé de saisir le drame, de le sentir palpiter, d'avoir même du mal à retenir l'émotion car la force de l'auteur c'est son dessin, fort, noir, solide et sans concession à ce qui se déroule là. Aucune mièvrerie doloriste mais l'œil et la main au service de ceux qui subissent, au service surtout de leur mémoire. Ce livre est un monument, un choc.




Les chapitres sur les enfants sont à peine lisibles tellement c'est dur. On oublie bien entendu ce débat sur la culpabilité de l'architecture car ce serait bien obscène que de vouloir se réfugier dans cette question. Le drame est ailleurs, dans les espaces maintenus sous les autorités des gendarmes français dont le rôle est pour le moins, si on en croit l'auteur, plus que douteux. Car exercer une violence c'est tenir son espace et accepter de jouer ce jeu est bien une ignominie historique.
Il est donc temps de diffuser ce livre le plus largement possible, de montrer comment tout lieu peut basculer en enfer.
Achetez-le et faites-le lire.
Achetez-le chez un libraire indépendant.

Quelques images :






Pour terminer, voici une carte postale de ces mêmes gratte-ciel de Marcel Lods à Drancy :


La carte postale est une édition ALFA, sans doute d'après-guerre vu son mode éditorial. L'architecte n'est pas nommé mais l'éditeur reprend bien ce terme de gratte-ciel qui doit, à lui seul, raconter son ambition et sa modernité. La correspondante au verso de la carte postale ne fait pas écho au drame qui s'est joué là, elle raconte sa vie, celle des enfants, de la Marraine, de Mémé. Il ne reste plus que le spectacle superbe de ces tours dans leur ciel comme si le silence tombé sur l'image devait recouvrir aussi la mémoire. L'architecture malgré tout tente encore de tenir debout.
Est-ce raisonnable ? Que faire de cette distance, de ce doute ?
Vivre ?

Pour voir ou revoir les articles sur Marcel Lods :
http://archipostcard.blogspot.fr/search/label/Marcel%20Lods
ou
http://archipostalecarte.blogspot.fr/search?q=lods 
Sur le projet de Monsieur Ricciotti :
http://archipostalecarte.blogspot.fr/2017/11/rudy-les-spaghetti-sont-servie-et-la.html

Toutes les infos sur l'exposition au Mus ici :
http://www.suresnes-tourisme.com/expo-mus-architectes-davant-garde.html



1 commentaire:

  1. J’ai grandi dans le Bobigny des années 60. De la salle de classe ou j’étudiais, mon regard se perdait parfois dans le lointain et accrochait souvent les arêtes vives des cinq 5 tours de la cité de la Muette. Je devais avoir 7 ou 8 ans, en 1966 ou 1967. La vue de ces bâtiments gris me plongeait souvent dans une sorte de tristesse trouble. Avais-je entendu les adultes raconter le passé funeste de l’endroit.. j’en doute. Les 5 tours se détachaient dans la grisaille et la brume  ( à l’époque, il y avais beaucoup moins d’obstacles pour entraver la vue ) dans un alignement et une symétrie qui je ne sais vraiment pas pourquoi me mettait mal à l’aise...Jusqu’à ce que mon regard vagabond n’accroche la silhouette lointaine, familière et bienveillante de la tour Eiffel. À moins que ce ne fut du pont de chemin de fer qui jouxtait la vieille gare désaffecté de Bobigny que l’on apercevait la dentelle de fer comme on l’appelait. ( c’est de cette gare-là que les internées du camp de Drancy partaient pour les camps). Mes parents habitaient dans une petite cité, à une centaine de mètres...de la gare en partie désaffecté on entendait parfois un joueur de guitare électrique déchirer le morne paysage d’accords hendrixien...un an avant Mai 68.

    Nasser

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