dimanche 18 février 2018

Le Corbusier dans la main et sous le Regards

Je crois que pour bien saisir la place d'une architecture dans le monde, il suffit de voir comment les médias non spécialisés en architecture s'en emparent.
La capillarité d'une certaine presse populaire à l'événement architecturale reste bien une manière de juger de l'étonnement ou de l'action d'un bâtiment dans une population peu encline parfois à analyser les soubresauts de l'innovation architecturale.
Par exemple, je vous conseille en ce moment de regarder dans Télé 7 Jours comment ce magazine très régulièrement évoque les nouveautés en architecture, toujours du côté de l'innovation technologique ou de l'étrangeté un peu futuriste, voulant faire rêver le lecteur, un peu comme si l'architecture pouvait devenir une sorte de décor à des fictions filmiques ou télévisuelles.
Aujourd'hui je vous propose donc non pas une carte postale (qui est bien aussi traversée par cette même question) mais une double page d'une revue publiée en 1949, le 27 octobre exactement. Cette revue c'est la revue Regard, journal qui met du sel dans votre vie quotidienne, ce n'est pas moi qui le dit, c'est le journal lui-même. Tout un programme donc allant de l'actualité cinématographique ou des variétés à des analyses satyriques bien peu convaincantes de l'actualité politique. Surnommé, parait-il, le Paris-Match du pauvre, il serait surtout un journal communiste ce qui est assez évident lorsqu'on prend le temps de lire les articles. C'est déjà bon signe.
Alors quand on tombe sur cette double page, il faut savoir regarder la force des images mais aussi lire entre les lignes du texte évoquant cette future Cité Radieuse :


Cette page est une merveille !
Regardons d'abord l'habileté de la composition mêlant photographies et dessins, comment le jeu des flèches et des phylactères donne le dynamisme à la composition et comment, en si peu de place, autant d'informations nous sont offertes ! Et quelle idée géniale que cette main géante, celle d'un Gulliver, qui vient placer comme un tiroir dans son trou, l'appartement de la Cité Radieuse ! À qui appartient cette main qui est photographiée alors que la perspective de l'appartement est, elle, dessinée ?
On remarque de suite l'incroyable détail des éléments de décor, comment tout est parfaitement nommé pour prouver l'originalité de la construction de Le Corbusier. Quelle autre construction de logements collectifs a eu droit à autant de descriptions de ses particularités ? Aucune... On est à la fois dans la maison de poupée, dans la maquette d'architecture, dans ces gravures d'immeubles parisiens dont on a supprimé la façade et qui fascinaient Georges Perec au moment de la rédaction de La Vie, Mode d'emploi.
L'architecte, dans un portrait collé en haut à gauche, penche la tête comme pour regarder son œuvre. On note aussi la très belle photographie de chantier car l'immeuble n'est pas encore livré en 1949. On s'étonne finalement que l'article, avec une telle démonstration par l'image, ne soit pas si enthousiaste que cela et reste un peu en retrait face au projet. Prudence ?
On notera tout de même que Le Corbusier y est nommé comme un champion (sic!).
On aimera que l'on interpelle le lecteur en lui proposant comme signe de la qualité et l'originalité de la construction que l'habitant n'ait justement pas à en sortir ! Comme si la principale qualité d'un immeuble n'était pas tant son insertion dans l'urbain que sa fonction d'isolement de son habitant, comme un Robinson joyeux de ne pas sortir de son île, comme un passager de paquebot devant se contenter du confort des aménagements du bord. On note aussi que ce type de projection spatiale ne rend pas tellement hommage aux articulations et circulations internes de cet appartement de la Cité Radieuse. Le resserrement des pièces, les emboîtements divers surtout dans la partie supérieure produisent une confusion, le sentiment d'un habitat de placards et de recoins alors que la partie la plus proche de la main ouverte est bien plus lisible et donc désirable. Il faut donc en expliquer toutes les astuces ménagères, tous les rangements, toutes les surprises pour que cette représentation reprenne avec force sa raison d'être dans le génie de ses combinaisons, de sa modularité. Magnifique didactisme populaire...
Malheureusement l'article ne comporte aucun crédit. Nous ne saurons pas qui photographie le chantier, qui dessine ce plan, à qui est cette main, qui a fait le portrait de Corbu ni même qui a écrit ce texte.






















































































































































































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