mardi 21 mai 2013

Le Corbusier, la passion des cartes

En ce moment a lieu au CIVA de Bruxelles une exposition passionnante en deux volets sur les rapports entre la photographie et l'œuvre de Le Corbusier.
Il me fallait y faire un tour d'autant plus qu'une exposition dans l'exposition est consacrée à la collection de cartes postales de l'architecte...
Luis Burriel Bielza est un inventeur comme on dit souvent pour les trésors. Il a mis à la lumière du jour ce fonds d'archives de la Fondation Le Corbusier et il a décidé d'en tirer un parti fort intéressant du point de vue de l'analyse entre image, représentation et œuvre.
Il y a là un travail remarquable permettant en effet de comprendre les jeux de correspondances, d'écarts, et de kaléidoscope mental de Le Corbusier vis-à-vis d'un matériau populaire, d'un média qui connut une expansion contemporaine de la vie de l'architecte.
Les cartes postales apparaissent tour à tour comme document photographique se mettant en lieu et place de photographies qu'aurait pu prendre l'architecte, révélant parfois des points de vue spécieux, servant de base à des dessins futurs, ou même servant en quelque sorte de carnets de notes imagés.
Les corrélations ainsi établies par Luis Burriel Bielza entre les carnets de voyages si célèbres de l'architecte et ses cartes postales sont bien sidérantes. L'analyse de ces rapprochements, des réminiscences de modèles dans l'œuvre construite ou écrite de l'architecte est parfaite et l'auteur nous emmène dans son enquête avec beaucoup de lucidité. Il est évident qu'il tient là un filon inédit.
Pourtant...
Alors même que cette exposition a lieu dans le cadre d'une autre qui situe le rapport de le Corbusier à l'image photographique, il semble que la carte postale soit trop peu analysée pour elle-même en tant qu'objet photographique possédant à son tour un auteur, un éditeur et un photographe. Elle sert un peu d'écran de projection à la relation de Le Corbusier aux images ne mettant pas en question la fabrique du cliché du lieu ou son rapport à l'histoire du pittoresque, à l'invention par l'image de ce qu'il faut voir. Pourtant le dernier chapitre du catalogue permet bien de comprendre l'exigence formelle et éditrice de l'architecte pour les images produites de son œuvre. Ce désir de maîtrise ne semble pas être passé sur les images des architectures et des lieux n'appartenant pas à Le Corbusier comme si, finalement, ce dernier comme un touriste prenait les cartes postales (et leur représentation) comme formes définitives de ce qu'il faut voir d'un lieu.
Et c'est bien aussi ce qui est beau. Le Corbuiser en se laissant prendre en quelque sorte par la profusion magique des cartes postales, leur infini possible d'un lieu et leur capacité à montrer même le très resserré champ d'un réel minuscule ou folklorique dit très bien la qualité très grande de ce média qui n'est pas populaire parce qu'il est pauvre mais parce qu'il est riche d'une attention objective, onirique, folklorique et même graveleuse...
Pourquoi faire comme s'il n'existait qu'un seul type de carte postale ? Car voir les seins dénudés dans un orientalisme de bazar des femmes d'Alger n'a pas grand chose à voir avec le mur effondré du Forum de Rome même si cela est imprimé sur un carton de 10 par 15.
Comment oublier également que Lucien Hervé présent dans l'exposition fut également un photographe de cartes postales pour Ronchamp ? Comment ne jamais nommer les photographes des cartes postales des éditeurs et ne rien analyser de leur influence ou de leur formation ? Charles Bueb est à nouveau ignoré. Croire que seuls l'acceptation ou le refus de Le Corbusier d'une photographie pour une édition en carte postale ne peut pas suffire à analyser la naissance du modèle que deviendra son œuvre. Il fut, comme le séchoir à café représenté dans sa collection, lui aussi dirigé par des points de vue non-maîtrisés. Et tout tient dans cette liberté géniale et infinie des cartes postales.
Comme d'autres architectes, Le Corbusier a aimé les images d'architectures au moins autant que les architectures. Et sa difficulté à en être son propre photographe a produit chez lui une forme sans doute d'irritation. Car la mécanique de la peinture qu'il a pourtant défendue avec Ozenfant semble ne pas pouvoir rencontrer la mécanique de la photographie.
Il y a donc bien une grandeur cultivée du photographe de cartes postales que Le Corbusier n'aurait pas réussi à atteindre. Une innocence humble mais belle qu'il a su aimer, collecter plus que collectionner, organiser et surtout piller. C'est sa force.
J'oserai une petite critique sur la scénographie de l'exposition qui ne rend pas hommage, je trouve, à la grande pertinence du travail de Luis Burriel Bielza. C'est par trop confus, les cartes postales sont brouillées par un plexiglass d'une qualité épouvantable. On passera sur les écrans de télévision qui soit allongent les cartes soit les compressent...
Le catalogue lui ne souffre d'aucun défaut éditorial et d'analyse. C'est un très beau livre, un beau point de vue, une mine sérieuse et aboutie.
Bref... un très beau et passionnant travail. Merci.

Le Corbusier
La passion des cartes.
Luis Burriel Bielza
éditions Mardaga
isbn : 978-2-8047-0169-7

L'exposition à lieu jusqu'au 6 octobre 2013 au CIVA de Bruxelles. Précipitez-vous !
Vous pouvez aussi revoir le chapitre sur Le Corbusier sur le volume 1 de ce blog.

quelques images de l'exposition :

















1 commentaire:

  1. daniel leclercq22 mai 2013 à 17:52

    LE LIVRE DE L'EXPO SERA EN VENTE EN SEPTEMBRE 2013...

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