dimanche 24 février 2013

Une machine vide à habiter



J'avais laissé les enfants dans la 4cv.
Je voulais un petit moment à moi, dans le vide de l'appartement. Je voulais, et c'est étrange, je voulais visiter ce vide.
Il ne nous appartenait pas encore. Nous allions devoir faire de cet espace notre espace.
La première fois que j'étais venu j'avais ressenti ce changement puissant qu'il y a entre la rue intérieure et l'appartement. C'était l'après-midi et le soleil inondait totalement le lieu en brûlant d'une lumière blanche les murs. La grande baie vitrée surexposée ne m'avait pas permis d'en lire son dessin. La porte ouverte ne me permit pas tout de suite de comprendre l'espace de la cuisine.



Il fallait pour cela refermer cette porte d'entrée derrière soi pour découvrir la révolution de ce petit espace parfaitement intelligent dans ses fonctions. Les placards, nous allions les remplir, les petits déjeuners nous les prendrions là en se passant les bols, le lait depuis le passe-plat sans rompre nos conversations, nos fâcheries, nos rires.
Je n'entendais rien, rien des vies des voisins ne passait là. Nous étions bien chez nous dans notre espace mais aussi dans nos sons, nos voix, nos musiques. Cela aussi nous appartenait.
Le parquet était si luisant que j'hésitais à avancer.



Je m'aperçus que j'étais appuyé sur l'escalier, le bras droit épousant dans sa longueur sa rambarde. L'escalier pointait un trou sombre qui était l'autre partie de l'appartement. Je me refusais à y monter seul, souhaitant partager ce deuxième moment d'exploration avec les enfants. Ils grimperaient à toute allure l'escalier, le redescendraient en criant sûrement un peu, feraient rouler les billes depuis l'étage vers le bas, ils oublieraient sans doute de retirer leurs chaussures.
Qu'importe !
Je trouvais cet escalier, je l'avoue, un peu gracile, presque comme une coursive de bateau, une échelle de coupée. Mais j'avais déjà posé mes fesses sur la seconde marche et je regardais les murs. Je cherchais déjà où j'allais accrocher le portrait à l'huile de mon père peint par son oncle dont j'avais hérité l'année dernière. Et le caoutchouc ? Où allions-nous poser le caoutchouc immense qui pour l'instant comme un animal domestique partageait l'arrière de la 4cv avec les garçons ?



Mais une voix chaude et délicate me fit me retourner. Dans le cadre de la porte une silhouette féminine élancée semblait prendre le cadre comme celui d'un tableau. Une de ses mains en appui sur le mur, elle me demandait si j'étais le nouveau locataire.
Elle me souhaitait la bienvenue avant même que je finisse de lui répondre. Elle avait déjà engagé son corps et sa voix dans l'espace de l'appartement.
Je fis, je ne sais pourquoi, un pas de recul.
Simone.
Elle s'appelait Simone.
Je savais en un instant que cet appartement serait bien plus qu'un nouveau lieu, une nouvelle chance.
C'est bien Simone qui ouvrit la porte du balcon, s'appuya sur le garde-corps et appela Guy et Jean-Michel. Elle rit à leur surprise de se voir nommés ainsi par une inconnue.
Et quelques minutes plus tard, l'appartement était plein de ce qui ressemblait un peu à une nouvelle famille.


La carte postale est une édition Les Carrefours du monde - 8311 - Marseille - Unité d'habitation "La Cité Radieuse" Le Corbusier (Architecte) salle de séjour et cuisine avec escalier donnant accès aux chambres.
Société éditions de France - Ryner - Marseille. En photographie véritable.


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