mardi 30 juin 2020

Les erreurs de Le Corbusier et surtout celles de Jacques Riboud



Je n'ai pas pu résister.
Le titre était bien trop marrant.
J'ai donc acheté ce fascicule chez un bouquiniste.
Rentré à la maison, j'ai bien entendu lu le texte en me refusant de savoir qui était ce Monsieur Jacques Riboud pour ne pas partir sur un a priori.
J'ai eu raison.

Pour information, ce texte est daté de février 1968, ce qui est important comme moment historique puisque nous sommes encore dans les Trente Glorieuses et que le premier bilan de la Reconstruction et de ses solutions est tiré. Les Grands Ensembles sont construits et les premières Villes Nouvelles apporteront bientôt d'autres réponses.
Alors que reproche donc Monsieur Jacques Riboud à Le Corbusier ?
Il lui reproche surtout sa vision de l'urbanisme.
On a droit, déjà, à l'accusation de Corbu comme père fondateur des Grands Ensembles et de leurs errements. On connait ça par cœur, même à cette époque. Les arguments sont toujours les mêmes, l'échelle inhumaine, la répétition, la mauvaise gestion et répartition des zones urbaines, l'effacement et le dégoût de la rue.
Rien de nouveau. Et surtout rien de vrai au fond non plus. Mais je reconnais que sur certains points, Jacques Riboud n'a pas tort comme, par exemple, sur la question des liaisons, des transports et des flux. L'automobile (sa place) est parfois mal comprise par Corbu. C'est vrai. Mais l'urbanisme, en quelque sorte doit savoir à la fois agir dans la prospective mais aussi dans le temps présent. C'est bien ce qui le rend difficile et parfois, malgré les bonnes intentions (toujours...) voué à l'échec du réel.
Une fois que l'on a un peu tordu du nez en lisant cette analyse bien vite menée et surtout un rien partiale de Monsieur Riboud, il nous donne la chance en fin de son texte de lire des avis différents des siens. Marcel Lods y est impeccable de remise au point.
Et puis, surtout, on va voir comment Monsieur Riboud a, lui, construit et de qui il s'est entouré et là...

Car Monsieur Riboud a le courage de ses opinions et de ses investissements. Il construit et il dessine des villes. On peut donc juger de son anti-Corbusianisme...
Sans doute aussi que son attaque ad hominem de Corbu est un puissant moyen d'obtenir un écho à ses désirs. Une belle publicité.
Mais il ne faudrait pas tomber dans une attaque de front opposant deux écoles, deux modes de points de vue ou de réflexion car, sans doute, ce qui piège autant Monsieur Riboud que Corbu c'est leur désir de faire le bonheur des gens et donc d'en dessiner la forme. L'urbanisme est un problème de pauvres. Je veux dire que les riches lorsque le lieu ne leur convient pas, ils peuvent toujours exercer leur droit de partir. Rester dans un lieu indigent est toujours un problème de pauvre (je devrais ajouter : mais géré par les riches). Alors c'est toujours aux pauvres que s'adressent ces rêves de bonheur enfin dessinés dans l'épaisseur des murs, le dessin des rues. La place, l'espace et comment en obtenir pour un investissement minimum est bien une question de pauvreté. Dans la même journée, je vous propose le matin de visiter la Villa Cavrois et l'après-midi le Familistère de Guise. Vous comprendrez. Qu'importe la forme de la rue si vous pouvez construire à l'intérieur d'une immense parcelle. Qu'importe le voisinage si vous pouvez construire loin de l'autre. L'urbanisme des riches c'est l'espace infini de leur choix de vie. L'urbanisme des pauvres c'est toujours gérer le contact avec l'autre (pauvre aussi souvent).
Bon, c'est un peu simpliste, je sais et je vous vois vous marrer derrière vos écrans. Mais lorsqu'on revient au travail de Monsieur Riboud ou à celui de Corbu c'est bien cette question du contact et de l'altérité qui est au début de toute réflexion urbanistique. Ce que comprend Corbu c'est l'infini dégradé entre le privé et le public.
Cet article est déjà trop long et vous avez décroché ? Vous avez certainement raison.
Au revoir.
Mais je continue.
Si on suit la piste et que, en bon chercheur, on lit la fiche Wikipédia de Jacques Riboud, (oui, oui), on apprend beaucoup de choses. D'abord son inscription historique, en fait, son texte m'étonne car il semble beaucoup plus vieux que ce qu'il affiche, 1968. Ensuite, on comprend que Monsieur Riboud, accompagné de Monsieur Prédiéri son architecte ont beaucoup bâti notamment à Maurepas ou Villepreux et qu'il est donc aisé de voir la révolution urbaine anti-corbuséenne de ce duo. Euh... Comment dire... C'est à échelle humaine... En effet...
Et l'image de la femme et de la vie domestique de Monsieur Riboud laisse pantois.

Alors quoi conclure ? Qu'il faut aller dans les villes de Messieurs Riboud et Prédiéri pour juger de comment on y vit. Il faut certainement même y vivre. Conclure aussi que le bonheur n'est pas toujours facile à dessiner. Que les bonnes intentions des uns et des autres ne sont pas forcément l'occasion d'une justesse, que juger vite et avec le désir de faire sa place n'est pas non plus une solution. Et rappeler sans cesse qu'il suffit de visiter une Cité Radieuse pour avoir un avis sur le logement collectif, il suffit aussi de rappeler que, malheureusement, en France Le Corbusier n'a jamais, jamais eu l'occasion de construire une ville entière à la différence de Messieurs Riboud et Prédiéri.
Je viendrai donc en visite à Maurepas ou à Villepreux, l'œil ouvert aux bouleversements souhaités par ces messieurs. Je viendrai voir là cette révolution de la France tranquille. À l'heure du bilan, à l'heure de la ré-évaluation des qualités des Grands Ensembles, de leur diversité, de la culture qui a su y naître aussi, (une autre altérité...) l'Histoire de l'Urbanisme saura sans doute juger et équilibrer l'une et l'autre de ces opinions. Finalement, il n'y a aucune raison de se priver des joies d'une Bastide et de l'opposer au vernaculaire d'un village normand...

Merci d'avoir tenu jusque là.

Pour mieux comprendre et mieux analyser, je vous conseille le très passionnant article de Philippe Dehan ici. Moins épidermique que ma sentimentale et corbuséenne opinion, il laisse plus de place à une analyse plus modérée et mieux éclairée :
https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2017-1-page-95.htm

Les erreurs de Le Corbusier et leurs conséquences, Jacques Riboud
éditions Mazarine, Février 1968.
4 francs (aujourd'hui un peu plus...)
Si vous le demandez poliment, je vous ferai un PDF du texte.




Voici donc une carte postale en multi-vues de Villepreux qui vous donnera immédiatement une sensation de son incroyable architecture... Si l'ennui devait trouver un chemin, il passerait sans doute par là. Une tranquillité bienveillante faite de petites constructions presque absentes, de passages bien conçus permettant de garer sa voiture, de faire ses courses à pied à l'abri de la pluie. On note une attention particulière au passage entre espace privé et espace public avec une certaine végétalisation de ses passages. Cela aurait plu à Oscar Newman et son Defensible Space...
Seule audace, une tour avec pendule qui doit certainement faire rêver au campanile d'un village perdu en Italie. Il faut une verticale pour signifier un endroit, montrer tout de même quelques capacités pour un architecte à faire tenir plusieurs étages. On note que la tour semble depuis ce point de vue comme coiffée d'un pavillon Phénix. C'est audacieux ce collage, presque aussi cynique que Édouard François. On s'amuse aussi que l'éditeur et son photographe réussissent à placer dans chacun des plans une animation familiale, ici deux dames et une poussette, là, une grand-mère et ses petits enfants. La tranquillité, je vous le dis. Merci les éditions Estel.
Si on peut finalement aimer Ricardo Bofill car il permet d'habiter quelque part, on pourrait dire de Jacques Riboud qu'il nous offre la sensation d'habiter partout ou nulle part. Et ici, le dessin des façades ne laisse aucun doute sur le nulle part.






2 commentaires:

  1. Ce J. RIBOUD chez le même éditeur avait pondu "Expérience d'urbanisme provincial", en avril 1961. 77 pages insipides...

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  2. Un tantinet tristounet ce type d'urbanisme...

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