mercredi 24 juillet 2013

Raoul, le Palmier

Raoul le Palmier avait commencé sa carrière de plante d'agrément dans les couloirs du centre médico-chirurgical Foch à Suresnes.

Studio J. Collas.



















Raoul se souvenait bien de son arrivée ici, au milieu des couloirs. Il se souvenait très bien aussi comment l'infirmière Pascaline lui avait donné ce joli pot blanc, comment elle l'avait rempoté dans la cour de l'hôpital sous les sourires des chirurgiens-chefs qui se moquaient un peu de ce morceau de nature au milieu de l'hygiène. Le Professeur Mathurin voyait même dans Raoul le Palmier un ennemi plein de microbes qu'il aurait bien laissé dehors.



Mais il fallait bien donner un peu de chaleur à la salle d'attente et déjà des philodendrons et un autre palmier était là.
Raoul le Palmier se souvenait de l'accueil un peu froid de Maurice cet ancien palmier collé lui dans un coin et comment il jalousait Raoul d'avoir été posé au milieu, trônant en quelque sorte, faisant le fier.



Mais Raoul le Palmier comprit rapidement que Gérard le vieux philodendron, l'ancêtre de la salle d'attente était un type bien. Il avait eu droit à la place devant la fenêtre, place aussi très convoitée même si parfois, le pot de Gérard le Philodendron servait un peu de cendrier pour les messieurs en attente de naissance ou pour les enfants ne sachant où mettre leur papier de bonbon.



Mais Gérard le Philodendron n'aurait changé sa place avec personne et il racontait toute la journée les allées et venues dans la cour de l'hôpital à ses camarades, ce qui rendait Raoul le Palmier bien heureux. Il faut dire que le vieux Gérard le Philodendron avait de l'humour.
C'est d'ailleurs en observant les arrivées et les départs de l'infirmière Pascaline que Gérard le Philodendron informa ses camarades que celle-ci depuis quelque temps n'arrivait plus à pied mais en automobile, accompagnée par un jeune homme bien mis de sa personne. Et Gérard de raconter les baisers langoureux des deux amants, les sourires appuyés de l'infirmière Pascaline. Ainsi Raoul, Gérard, Maurice et toutes les autres plantes s'amusaient à surveiller l'infirmière dans tous ses déplacements, de service en service.
Mais, un matin, le jeune homme amoureux de l'infirmière vint s'asseoir à côté de Gérard le Philodendron qui surprit alors sa conversation avec le Professeur Mathurin. Ce dernier regrettait bien la décision de départ de Pascaline son infirmière préférée, souhaitait bonne chance au couple, demandait au jeune homme de bien réfléchir avant ce départ pour la Normandie.
La petite troupe des plantes en pots commença à regretter ce futur départ et tout le monde se demandait si Gérard n'aurait pas mal compris avec son grand âge ce qui rendait ce philodendron furieux.
Mais un matin, Gérard le Philodendron annonça l'arrivée du couple avec la voiture pleine d'affaires jusque sur le toit de la petite Fiat. Seule Pascaline l'infirmière descendit de la voiture restée en marche et avant même de la voir, Raoul le Palmier entendit chacun de ses pas dans l'escalier. Et ce fut la stupeur de toute la petite troupe....
L'infirmière Pascaline prit dans ses bras Raoul le Palmier et tout en jetant un dernier regard sur son service, elle tournait sur elle-même offrant à Raoul un dernier adieu déchirant à ses amies les plantes vertes. Dans la voiture, coincé entre une valise et corbeille à couture, Raoul entendit Pascaline l'infirmière affirmer à son fiancé qu'il n'était pas question qu'elle laisse à Suresnes son palmier et que celui-ci serait très bien dans son nouvel endroit...

collection Robin.



















... Dans le hall d'entrée de la Mairie de Grand-Couronne, Raoul avait été posé là par Pascaline l'infirmière, sur ce socle, au milieu de l'escalier principal. Une belle lumière l'inondait surtout l'après-midi et toute la journée sauf les dimanches, il y avait des visiteurs, des habitants, du personnel.



Mais Raoul attendait tous les jours l'arrivée de Pascaline son infirmière qui passait prendre son jeune époux devenu conseiller municipal communiste de la Ville, il y était chargé des Sports et de la Jeunesse.
Certes Raoul parfois regrettait l'humour de Gérard le Philodendron, mais finalement il s'était attaché à son nouveau poste qui lui offrait un beau regard sur l'extérieur et la compagnie joyeuse des lierres qui étaient bien bavards et amusants. Et dans la géométrie parfaite et moderne de ce Hall de la Mairie de Grand-Couronne, il pouvait toujours profiter de son infirmière qui toujours venait voir si on l'avait bien arrosé, si on avait bien retiré ses vieilles feuilles. Et, un matin, dans le pot vide laissé dans le coin de l'escalier, il vit Pascaline les bras chargés d'un autre palmier tout jeune et superbe. La nouvelle plante se nommait Solange, elle était belle, fraîche et timide.
On dit que parfois, sans bien comprendre comment, on retrouvait au matin Raoul le Palmier posé dans ce coin à côté de Solange.



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