mardi 4 mars 2025

Promenade post-moderne dans l'attente d'une soutenance de mémoire

 Nous avions rendez-vous à l'École Nationale d'Architecture Paris-Val de Seine pour participer à la soutenance de mémoire de Carla Lengrand, mémoire consacré à la carte postale d'architecture. En attendant ce moment sérieux mais aussi joyeux, il m'a fallu déambuler dans un Paris dont je ne me souvenais pas que j'aimais tant m'y perdre, nez au vent, sans but, sorte d'errance d'un piéton baudelairien se laissant emmener ici par une ombre, là par un passage piéton, ou là encore par l'écho d'une lumière reflétée sur une façade. Ah...le romantique que je suis...







D'abord dans le quartier de la Bastille, je voulais revoir le monstre affreux, atroce, génialement moche qui à lui seul me semble résumer toute la politique de Mitterrand : boursouflée de prétentions presque staliniennes mais camouflée derrière des plaques agrafées sur la façade pour en cacher l'épaisseur sans doute somptueuse du béton qui lui structure. Que c'est laid cet Opéra Bastille ! On rêve d'une décrépitude qui lui donnerait dans sa ruine (qui commence si on en croit les filets sur sa façade) une réalité rétro-futuriste de décor pour Star Wars et on attend de voir sur ses marches un Dark Vador en guenilles. Bref...Vous m'avez compris, j'adore le détester. On notera que Madame Dati, n'ayant rien d'autre à faire, est venue, il y a peu, soutenir la Labelisation de cette machine mitterrandienne. Elle a du adorer faire cette révérence à Mitterrand et son héritage Madame Dati !


Sans doute, le plus beau morceau !









Peut-on faire plus accueillant ? Plus ouvert ?

Mais au gré de ma fuite, je tombe sur un clocher un peu vert, un peu neuf, un peu étrange hésitant entre franchise moderne et campanile de campagne : une église ! Immédiatement devant le matériau de sa façade, j'entends mon cerveau qui me sert à l'envie le mot Post-Modernisme. Et je ne sais pas trop quoi faire de ce surgissement qui me semble toujours douteux quand on l'use sur n'importe quelle production un peu étrange et historiciste, architecture qui s'amuse à la fois donc d'un retour en arrière et d'une franchise déguisée. Je crois que notre génération aura eu comme mission de redéfinir (souvent mal)  le Brutalisme, je crois que celle qui vient va devoir se saisir du Post-Modernisme. Il est temps. Mais je me demande bien comment elle va le saisir, comment défendre ce qui, je l'avoue, pour moi, reste une sorte de retour réactionnaire. Mais je me vois, me régalant de cette église, de cette écriture indéterminée, de ce presque mauvais goût ne sachant que faire à la fois de ma jubilation (la surprise) et d'un sourire en coin prenant (avec un peu trop de hauteur de ma part) ce geste architectural que je ne sais pas bien saisir finalement. C'est bien cela qui m'agace. Je fais quelques clichés, je cherche le nom de l'architecte, tout cela dans une église avec ses portes largement ouvertes sur un Paris ensoleillé, accompagné par les répétitions de chants qui rythment ma visite.On peut donc encore vivre ce genre de moment dans ce Paris ! L'église ? C'est Notre-Dame de l'Espérance, l'architecte c'est Bruno Legrand. J'en aime surtout la façade sur la rue du Commandant Lamy. Je comprends pourtant assez vite que ce qui m'agace ce n'est pas tant son dessin mais ses matériaux, surtout l'espèce de couleur un peu molle qui la recouvre. On sent bien un vrai désir de créer une capillarité entre la rue et l'entrée, en ce sens la façade avec son clocher est complexe,  avec un mur de verre assez osé et malin. Définitivement, c'est bien ce matériau et cette couleur que je n'aime pas. L'intérieur tient surtout par un plafond à caisson qui fait le spectacle, le reste est assez dépouillé pour donner au mobilier liturgique toute sa puissance et c'est assez réussi, surtout pour ce qui est du bénitier très spectaculairement positionné dans l'entrée, offrant une vraie rencontre, en faisant un moment-clef de cette visite surtout, comme en ce jour, où les portes sont grandes ouvertes sur le monde. Superbe !


Mais la surprise du jour...ce fut de trouver des cartes postales de l'église en vente à coté des cierges comme au bon temps jadis des églises d'Art Sacré du Vingtième Siècle ! Ouf ! J'ai de la monnaie sur moi et me voilà ravi de compléter ma collection de cartes postales ! J'ai des joies simples, que voulez-vous...On notera que ces cartes se laissent remplir de cette teinte verte très blanchie qui caractérise Notre-Dame de l'Espérance. On note aussi que la géométrie abstraite du mobilier et de l'agencement saute aux yeux tout comme certains gestes architecturaux ne sachant comment faire à la fois sobre ou symbolique. À trop vouloir en faire, on n'en fait peut-être pas assez. Immédiatement, j'y vois l'héritage d'un Szekely. Pour en savoir plus sur cette église : 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Église_Notre-Dame-d%27Espérance_de_Paris




Par ordre d'apparition, deux premières cartes de Dahliette Sucheyre, photographe et les deux suivantes par C. Barriquand-Treuille.

En poursuivant ma promenade, je tombe sur cet hôtel Ibis qui m'amuse avec tous ses efforts pour être une vraie architecture, essayant de camoufler les cellules des chambres superposées les unes sur les autres avec quelques détails qui tentent donc surtout de camoufler la boite à dormir. Vous me trouverez compliqué mais je trouve ça désespérant et touchant à la fois. On appellera ça une gratuité fatiguée.




Pour conclure, je dois d'abord remercier Carla Lengrand pour son mémoire et pour la place qu'elle m'y a accordée. Il est toujours heureux et encourageant de voir les échos du travail qu'on produit et d'avoir entre les mains la réalité de ceux-ci. Bravo Carla pour votre travail !
Ce moment fut aussi l'occasion de se rappeler la place du piéton, sa hauteur, son cheminement dans le bruit, les couleurs, les petits accidents, les collages que produisent les villes. C'est ce qui en fait toute la valeur. Ma promenade m'ayant porté jusqu'aux Tours Duo de Jean Nouvel, je peux vous dire que parfois, il semble bien que les architectes oublient la place du piéton ou nous dirons qu'au moins celle-ci n'est pas la plus primordiale. Pourtant Jean Nouvel a été à l'école de la rupture la plus poétique qui soit du corps qui marche : la Fonction Oblique. Et ce n'est pas les pentes en acier Corten du minuscule jardin tristounet au pied des Tours Duo qui y changent quelque choses. Mais vous me direz que la geste architecturale, son baroquisme obligé par le désir de rester un Star Architecte en modelant bien plus la hauteur que la circulation peuvent aussi sans doute être beau. Des tours un rien dégingandées.
Je ne sais pas bien. Je ne sais pas bien alors depuis quelle vigie on se doit de saluer le génie d'un architecte, d'en saisir le dessin.
Je remercie donc ici aussi Xavier Dousson pour son invitation. Je me suis redécouvert en cette journée comme un marcheur de villes. La solitude ça oblige un certain ordre du mouvement.