Dans les traces populaires de la réception du Patrimoine Architectural Moderne, il y a bien beaucoup de possibles. Les cartes postales en font partie bien entendu mais aussi des articles sur l'architecture dans des revues non-spécialisées, les sacs plastiques, les portes-clefs bref souvent des objets de souvenir ou de tourisme produits en grand nombre.
Il en va alors comme des cartes postales et c'est notre étonnement à découvrir ces objets qui nous trouble bien plus que les objets eux-mêmes car, finalement, on reconnait bien leur droit à exister, presque leur logique. Si une construction moderne est populaire, reconnue, visitée, pourquoi donc, en effet, ne serait-elle pas représentée comme plein d'autres objets touristiques dans des artefacts aussi communs ? Alors ? Pourquoi cet étonnement si ce n'est qu'aujourd'hui cela nous semblerait impossible.
L'assiette-souvenir fait bien partie de ces artefacts. Je les collectionne.
Enfin...je devrais dire que, comme pour les cartes postales au début de ma collection : je les ramasse.
Je veux dire par-là que ce qui compte c'est la rencontre au petit hasard, sous une pile d'assiettes décorées, de tomber sur une qui concerne notre intérêt. C'est ce moment-là qui compte vraiment le plus, ce moment de surprise, de rencontre, ce Ah... qui réjouit et qui étonne. Vous allez, sans doute, à la lecture de cet article, vous-même pousser ce genre de petits cris étouffés de bonheur (si, si, je vous l'assure).
Pour ce faire, je vais commencer par un chef-d'oeuvre, sans doute le clou de ma collection, l'une des assiettes-souvenirs les plus incroyables, je devrais dire improbables, de part l'objet architectural ainsi représenté mais aussi de part son style qui lui est si ostensiblement éloigné !
Alors ? Je vous avais prévenu !
Voilà bien une assiette en quelque sorte programmatique de ma collection ! Celle-ci est un ensemble de signes qui me font de l'oeil comme si il était impossible que je ne la possède pas. D'abord, bien entendu, l'architecture représentée : l'église Sainte-Bernadette du Banlay à Nevers par Claude Parent et Paul Virilio. Il n'est plus la peine de dire ici ma relation avec ces architectes. L'autre signe est la date : 1967 ! Ma date de naissance !
On admirera comment J.M pour A.Montagnon a réussi à traduire les traces du banchage du béton par de simples mais si beaux petits coups de pinceau formant la matérialité du béton de Nevers : remarquable traduction. Sur la page Wikipédia, j'apprends d'ailleurs que la Famille Montagnon fut bien à l'origine de la poursuite de la grande tradition de la Faïence de Nevers et c'est vraiment une joie de voir ainsi un art populaire, ancien, venir se croiser avec une architecture moderne. On note aussi la belle simplicité du décor.
On voit là, déjà, dans ce mélange des genres (style et objet) quelque chose qui nous rappelle immanquablement le travail drôle et puissant d'un Wim Delvoye. Si la famille Montagnon pouvait nous raconter son approche de Sainte Bernadette de Nevers ce serait fantastique... Y-a-t-il eu d'autres exemples de l'utilisation et de productions avec comme motif Sainte-Bernadette du Banlay ?
Quelle joie cette assiette !
Je continue avec une autre production s'accrochant à une tradition de la céramique : Rouen.
Je continue avec donc un autre type de proximité personnelle :
Je ne suis pas allé bien loin pour trouver celle-ci ! Mais avouez que là également, le désir de croisement entre architecture moderne et contemporaine et fabrication traditionnelle est bien réussi et nous emporte avec un certain étonnement mais aussi avec un certain humour.
Le dos nous informe aussi un peu.
Et...j'ai un doute sur la réalité du fait main du décor central, celui de l'église du Vieux Marché de Rouen dont les architectes sont Arretche et Gaudin. Une oeuvre magnifique d'ailleurs, absolument immanquable. J'ai raison ! Avec mon compte-fil, comme pour mes cartes postales, j'observe nettement que l'image centrale est tramée...Donc il s'agit d'une décalcomanie apposée et cuite. Je pense que le décor main de Marli est seulement réservé pour les bords qui reprennent bien les teintes et motif de la céramique de Rouen. On note que le modèle porte le numéro 241 ce qui pourrait signifier qu'il existe d'autres modèles d'assiettes avec un autre motif de l'église. Je ne sais pas si cette assiette a eu un grand succès commercial, si elle fut produite au moment-même de la construction de l'église et je n'ai jamais revu ni à Rouen dans les boutiques ni ailleurs ce modèle-ci.
Toujours une tradition de céramique et toujours un contraste :
C'est la toute première de mes acquisitions ! Le doigt dans l'engrenage ! Reconnaissez-vous la construction au centre de cette assiette en bleu de Delft ?
C'est écrit au dos mais sans le nom des architectes : Maaskant, Van Dommelen, Kroos et Senf. J'en aime l'audace du point de vue sur cette superbe architecture et l'idée de la glisser dans un décor aussi marqué historiquement. On notera tout de même un certain flou, une certaine mollesse du dessin peu précis. On dirait que ça a trop cuit ! Mais comment ne pas être séduit immédiatement par ce choc des représentations. Difficile là aussi de savoir ce qui a déterminé et ordonné ce besoin de fabriquer un tel objet, de savoir comment il était distribué.
Même si, comme pour les cartes postales, j'aime mieux les vues simples que les cartes en multi-vues comment donc renoncer à l'acquisition d'une telle pièce :
On notera là encore le choix du bleu comme signe d'une certaine tradition de la céramique peinte. J'adore la réduction graphique des représentations des architectures et toutes celles-ci ne vous donnent-elles pas envie de vous rendre à Toronto !
Faisons la liste des architectures représentées :
- Ontario Place et son dôme : Eberhard Zeidler, architecte
- Roy Thomson Hall : Arthur Erickson, architecte.
-New City Hall :Viljo Revell associé à Heikki Castren, Bengt Lundsten, Sepo Valjus.
(sans doute l'une de mes architectures préférées)
- la tour panoramique, CN tower qui occupe le centre de l'assiette.
On ne cherche pas où pouvait bien être vendu ce genre de souvenir ! C'est assez clair. On notera tout de même que cela démontre que la ville se reconnait beaucoup dans son architecture moderne et contemporaine qui est perçue comme une attractions, a place to be.
Là aussi, l'assiette est bien une production industrielle mais ici qui n'est pas rattachée à une tradition de la Faïence mais en reprend tous les signes. Une petite étiquette nous indique même que l'assiette aurait été produite...au Japon...
Attention ! Monument !
Voilà donc une assiette nous montrant le Berlin moderne, celui de l'après-guerre, celui de l'Ouest aussi. Je pense évidemment que ce type de production date d'avant la chute du mur. Comment résister à un tel esprit à la fois de synthèse du dessin et absolument kitch pour le bord de l'assiette ! Quel mélange audacieux ! On voit donc parfaitement l'église du Souvenir de l'Empereur Guillaume (Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche) en ruine reconstruite par Egon Eiermann (un chef-d'oeuvre absolu) et l'immeuble avec le logo Mercedes sur son toit, l'Europa-Center, par les architectes Hemut Hentrich et Hubert Petschnigg. On ne peut pas faire plus occidentale et internationale comme architecture. On notera avec amusement que le logo Mercedes côtoie la minuscule croix de l'église et la domine un peu. Cette assiette fut produite par Schedel Bavaria dont on admire la marque au dos de l'assiette.
Et l'inscription Berlin Bleibt Berlin (Berlin reste Berlin) est assez touchante et encore vraie aujourd'hui.
Voici l'une des plus spectaculaires et qui me fut offerte par Claude Lothier. Merci Claude :
N'est-ce pas merveilleux comme souvenir de New-York ?
Tout est réussi : dessin, couleurs, mise en scène de l'Empire State Building. On devine facilement où cette assiette a, sans aucun doute, été achetée, surtout que le dos de l'assiette enfonce le clou de manière claire et très complète ! On note tout de même que l'Empire State Building est entouré de deux autres architectures du Vingtième Siècle : le Coliseum et Palais des Nations Unies. On note aussi l'absence du World Trade Center, ce qui permet à mon avis de dater cette assiette d'avant sa construction. On note encore que cette superbe qualité de fabrication est de la célèbre fabrique Johnson Brothers England. Il s'agit donc d'un produit d'importation. Quelle merveille !
Avec le même motif central et toujours à New York :
Même si cette assiette reprend bien les codes graphiques anciens (on pourrait y voir un hommage à Little Nemo) il ne fait aucun doute qu'elle est bien plus contemporaine que la précédente. Un détail le montre clairement : une nomination du Kennedy International Airport. J'adore le dessin de la ville au pied de l'Empire State Building ! Petits volumes tout nets. On aime voir là encore le Palais des Nations-Unies et aussi le Rockfeller Center.
Certaines architectures sont en quelque sorte attendues dans ce genre. Quand la laideur de certaines constructions rejoint le kitch, le surjeu des objets du souvenir...tout s'accorde pour une production assez caricaturale. Pas de doute que les machines du Futuroscope hurlant leur modernité et leur pseudo-avant-garde auront su trouver dans ces objets une certaine forme de légitimité. En ce sens, ces deux productions que je ne boude pas, sont exemplaires.
Les deux sont "signées" Yves Deshoulières" dont on ne sait pas si il s'agit du concepteur ou du fabricant.
Ce très grand plat nous montre donc l'Hôtel de Ville de Villerupt. Mais pourquoi donc ? Pour qui ? Qui décida un jour que cette petite architecture moderniste mériterait ainsi une production aussi ambitieuse ? Le dos nous réserve la surprise d'une production en Longwy décorée "à la main" ! Tout cela sent tellement les années 50-60 ! Surtout ce glacis noir profond dans lequel brillent de petites étoiles. Cadeau de la Ville de Villerupt pour des invités privilégiés ? Et combien reste-il de ce modèle que je trouve si touchant dans son désir de bien faire. Peu d'infos sur les architectes Gilbert et Laporte de cet Hôtel de Ville très moderniste pour en dire quelque chose mais le bâtiment semblait très bien dessiné.
Et comment ne pas finir avec cette assiette que j'ai achetée hier (!) et qui me décida à vous montrer ma collection. Je n'ai pas grand chose à vous dire encore sur Royan, vous savez la place de cette ville dans ma vie et dans mes rêves d'y vivre malheureusement pas encore aboutis. On notera tout de même que ce n'est pas une production d'une grande qualité, ni le dessin, ni les choix graphiques ne permettent de se réjouir vraiment...On devine que le Casino est encore debout, ce qui signifie que le modèle du dessin est antérieur à sa destruction mais je reste persuadé que cette assiette-souvenir de Royan est bien plus récente que ça. Et choisir Notre-Dame et la Conche en lieu et place du Marché est aussi, pour moi, la certitude qu'il doit exister des assiettes de Royan avec le Marché. Cela ne fait aucun doute.
Pour finir, vous aurez compris que si j'aime me faire surprendre comme hier avec l'assiette de Royan, il y a forcément des bâtiments que j'aimerais trouver. N'importe quelle construction de Le Corbusier me ravirait et pourquoi pas Ronchamp par le céramiste Bézard ami de Corbu ? Et le centre Pompidou ? Je suis certain qu'il existe aussi des assiettes de ce bâtiment...Et pourquoi pas aussi rêver à des assiettes-souvenirs de Sarcelles, Grigny ou des Tours Nuages de Nanterre...Qui sait...
Continuons de chercher.
Pour voir les céramiques de Bézard, ami de Le Corbusier :
Ne pas oublier l'excellente revue Profane qui aime regarder ce genre d'objet autour de l'architecture :
* c'est l'expression détournée de celle que j'utilise pour demander et nommer normalement des cartes postales moderne sur les vides-greniers.
Dernière acquisition (21 septembre 2024)
Trouvée à l'instant aux Emmaüs, elle pourrait être l'archétype de ce que je cherche. Voilà une assiette d'une petite taille qui reprend avec beaucoup de qualité la Tour d'Auguste Perret à Amiens. On aime le graphisme très serré et les choix de couleurs un peu éteintes. On note le fabricant : création Almi, fait main inscrit sur une étiquette. On doute du "fait main" mais qu'importe ! Voilà un bel exemplaire qui va rejoindre ses camarades dans ma collection !
Dernière donation (dimanche 22 septembre) :
Hier, alors que je me suis rendu à Piacé pour les Journées Européennes du Patrimoine, Nicolas Hérisson qui depuis des années maintenant réveille le souvenir de Le Corbusier et de Robert Bézard dans cette petite ville de la Sarthe m'a offert cette assiette. Elle a la particularité d'être une ré-éditon d'un modèle créé par Norbert Bézard pour être vendu en souvenir à Ronchamp. Le Corbusier ayant pour l'apiculteur-céramiste de la Sarthe une véritable amitié, notre architecte avait soutenu le travail étrange et brut de ce paysan moderne dans la ruralité.
Bien entendu, on sort un peu de mes autres acquisitions parce qu'il s'agit bien d'une assiette-souvenir mais qu'elle ne possède peut-être pas, par son histoire, la liaison un rien naïve du surgissement d'une architecture moderne dans le champ touristique. Quoique...
Et puis, adoubée par Le Corbusier lui-même, cette production revue un peu à l'aulne de l'Art Contemporain lui donne une aura que l'amitié et l'engagement de Nicolas pour Piacé rendent toute particulière. Comme quoi, comme pour le ready-made, les circonstances de création et de donation d'un objet fabriquent tout autant sa perception et sa réception. Quelle soit la bienvenue dans ma collection et un immense merci à Nicolas Hérisson pour ce très touchant et beau cadeau.
Pour en savoir plus sur Norbert Bézard, Le Corbusier et Piacé, c'est une très belle histoire. Une visite s'impose !