Aux Emmaüs, j'achète un petit lot de cartes postales, heureux de voir que, enfin, les Emmaüs se décident à remettre en vente des cartes après des années de bouderie ou de ventes dites exceptionnelles qui n'avaient d'exceptionnelles que l'inflation absolument ridicule des prix...
Dans ce lot, je suis immédiatement intéressé par cette carte postale du Bar-Tabac le chien qui fume à Elbeuf que je connais bien. Ce qui me séduit c'est bien, comme souvent, le moment presque palpable, tremblant de la reconnaissance. En effet, le surgissement en image d'un lieu dans nos mains, de sa représentation en un instant figé et dans un temps disparu reste l'un des mystères de notre joie. Je fais semblant alors de penser que ma joie vient de mon gout pour l'architecture et ici celle de la reconstruction d'Elbeuf assurée par François Herr et Marcel Lods, architectes. D'ailleurs si l'on regarde la carte postale, j'y retrouve bien ce vocabulaire de la reconstruction avec les plaques de béton préfabriquées jointées et les superbes cadres de fenêtres et de vitrines très ourlés qui viennent en sailli des plaques be béton. C'est bien-là le vocabulaire de la préfabrication de ma ville, celui qui m'habitua enfant à cette qualité de la reconstruction. Ce qui m'étonne sur cette carte postale c'est l'état de crasse et de saleté des murs alors même que le bâtiment, au moment de la prise de vue n'est pas si vieux. Mais l'atmosphère encore très largement industrielle d'Elbeuf à cette époque et les chauffages au charbon ont fait vieillir sans doute prématurément les bétons donnant à l'image une allure un peu triste. La carotte, enseigne d'un vendeur de tabac, est elle aussi bien abimée...
La couleur et la joie de cette image viennent de la présence des clients et des chaises en plastiques colorées si année 60. Mais un détail fait résonner cette image avec notre journée : le graffiti du sigle de l'anarchie si proprement fait, d'une netteté que je trouve éclairante. On imagine la colère du propriétaire du bar, on imagine aussi le mouvement du bras parfaitement déroulé pour faire un si beau cercle ! Bravo !
Tous les elbeuviens ont un souvenir de ce bar. Nous y allions acheter des cartouches de Gauloise pour notre père. Cette carte postale des éditions Kettler me touche donc tout particulièrement. Je suis chez moi. Malheureusement, tout ce qui en faisait sa particularité architecturale a disparu sous une vitrine banale ayant ruiné la belle articulation de l'angle entre la rue des Martyrs et la rue de Roanne, rue dans laquelle j'habitais enfant.
Dans le même lot, je trouve une belle carte postale du Ciné-Théâtre (le cinéma) d'Elbeuf, cinéma si important pour moi. Il fut bien dessiné par Marcel Lods mais aujourd'hui il a était agrandi avec peu de subtilité sur le devant, c'est à dire que ça a flingué la belle gestion de la transparence de l'entrée qui faisait de l'attente des spectateurs un spectacle à part entière...Comme chez Tati. La boite de verre et de métal si légère n'existe plus...Mais le cinéma a résisté à la vague des grands cinémas de zone commerciale. C'est déjà ça.
Pour revoir Marcel Lods sur ce blog :
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Pour revoir Elbeuf :