jeudi 8 août 2024

Centre Pompidou, les cuisses bien écartées

 Je fais partie de cette génération qui aura connu la création du Centre Pompidou et les (maintenant) multiples restaurations-transformations de ce lieu emblématique de l'architecture comme agent urbain perturbateur. On dira que le Centre Pompidou c'est le premier effet Bilbao.
Il va donc être fermé pour une nouvelle transformation et cela à l'air de se faire sans que cela ne soulève, une fois encore, aucune objection sur le respect si ce n'est du bâtiment au moins de son esprit.

J'ai déjà plusieurs fois signalé que le Centre Pompidou d'origine n'existe plus depuis longtemps et cela en grande partie à cause de deux éléments que son architecture ne pouvait pas maitriser mais qui en découlent tout de même : sa popularité et sa trop large ouverture (capillarite entre le dedans et le dehors).
Pour des questions évidentes aujourd'hui de sécurité, l'une des premières transformations fut bien de faire du premier niveau un filtre sécuritaire qui supprime de fait toute la logique d'accessibilité et d'idées de circulation des flux qui, selon les architectes, auraient du être l'outil de la libéralisation de ce lieu culturel. Une sorte de sans-gène de l'usage bien évidemment complètement disparu aujourd'hui. Pourtant cela n'a pas eu l'air d'entamer son succès et sa fréquentation et le petit trou de souris laissé libre pour y accéder est bien fréquenté, preuve de l'attirance que conserve encore ce bâtiment si spécial. Et la sur-fréquentation du bâtiment produit son usure structurelle qui oblige sur un tel bâtiment à de nombreuses remises en état. L'esprit de Beaubourg était tenu en plusieurs qualités qui allaient d'une sorte de franchise du lieu affirmant sans détour ses organes, son squelette, sa raison et une transparence associée à une légèreté pour en certifier sa modularité, modularité vue comme une libéralité de son fonctionnement. Nous sommes démocrates car dans l'usage tout est mobile et toujours remis en cause dans les accrochages ou dans l'accessibilité des livres à la Bibliothèque. S'asseoir par terre, entrer et sortir dans des espaces indéterminés serait une philosophie agissant comme un marqueur de cette libéralité du contact avec les oeuvres. Venir là comme au supermarché. Le peuple aime bien, y parait...ça lui fait moins...peur...Condescendance des sachants.

Aujourd'hui touts se réifie. Tout reprend de l'épaisseur, tout redouble de filtres dans tous les sens. L'esprit d'ouverture se transforme en inclusivité lisible formalisée et donc en incrustation, en fermeture, en régulation du publique. Beaubourg n'est plus une place ouverte au risque de s'y perdre, c'est un programme qui doit être lisible, un tract de la politique culturelle mais bien pire encore un tract de la politique touristique. Alors on pourra dire que le talent des concepteurs d'origine c'est d'avoir permis dans leur conception des espaces leurs usages de transformations toujours possibles comme si, finalement, la chance de cette architecture était bien cette réinvention permanente, on pourrait dire presque que chaque génération veut marquer le Centre Pompidou de sa manière de le voir et de pratiquer la réception de l'Art du Vingtième siècle qui, ne l'oublions pas, est devenu, de fait, maintenant, non plus contemporain mais patrimonial. On vieillit que voulez-vous.

J'avais souhaiter la même chance pour Les Halles de Paris qui auraient pu devenir au coeur de la ville une sorte d'expérience générationnelle par sa transformation architecturale complète tous les 40 ans.
Mais voilà, les temps changent mon ami.
Et je range ma collection et je tombe sur une carte postale éditée par le Centre Pompidou en 2009. La voici :



Disponible dans la librairie du Centre, cette carte postale est donc l'édition d'une très célèbre photographie de Valie Export faite par Philippe Migeat. On y voit l'artiste dans l'une de ses plus célèbres images, chevelure ébouriffée, cuisses écartées, sexe offert au regard. La question n'est pas ici d'analyser cette image mais de poser une question assez simple : trouverons-nous dans cinq ans, à la fin du nouveau chantier, ce genre d'images encore disponibles et visibles aux yeux de tous les visiteurs, sans censure, sans précaution dans une exposition et dans la librairie ? Est-ce que les enfants choisissant une carte postale pour Tatie Simone pourraient encore hésiter entre cette carte postale de Valie Export ou celle d'une sculpture de Niki de Saint Phalle demandant aux parents un rien gênés de leur expliquer :
 "dis papa qu'est-ce qu'elle fait la dame ?"




Est-ce que ce nouveau Centre Pompidou racontera bien notre nouvelle époque qui veut choquer le monde entier en peinturlurant en bleu un gnome atroce et nu (fils d'un Schtroumpf et de Boba Fett) mais n'osant pas aller au bout en laissant un petit cache-sexe minable et peu courageux pour, tout de même, laisser croire à une sorte de pudeur acceptable. Pourtant, j'espère que cuisses écartées ou couilles pendantes nous pourront toujours voir et acheter une certaine déclaration du corps en regardant les photographies de Coplans ou celles donc de Valie Export dans le futur et donc restauré Centre Pompidou. 

J'ai un gros doute.

Il est donc clair que nous saurons de quoi est faite la politique de ce nouvel espace remis à neuf en observant à nouveau avec quoi et comment il se représente. On verra donc comment ce Centre Pompidou fera des choix éditoriaux, des projections sur l'extérieur de sa collection intérieur, comment sa libéralité d'origine sera conservée ou retravaillée. J'irais donc à la boutique et librairie du Centre Pompidou dans cinq ans. J'irai voir si on fabrique encore des cartes postales de ce célèbre lieu.
Je pense, je ne sais pas si j'ai raison, que je devrais alors me rabattre sur ma collection, rêvant à ce que nous avions vécu, rêvant alors à ce que nous prenions à tord pour l'avenir et qui sera devenu certainement un caillou. Un beau caillou tout de même.

En cinquante ans, on aura donc remplacé Valie Export par le Mignonisme de Philippe Katherine et les pleurs amourachés et petits bourgeois de Dapnée Bürki. Le courage contre le pathétique.

La nuit est donc tombée sur Beaubourg.
Une superbe photographie de nuit pour les éditions Chantal non datée et sans nom de photographe (c'est bien dommage...)


Le jour reviendra peut-être sur Beaubourg.
Une belle carte postale d'une façade plus rare en carte postale. Il s'agit d'une édition Abeille-Carte expédiée en 1989 sans nom de photographe, là aussi c'est dommage.







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